Le Droit à La Paresse - Réfutation Du «droit Au Travail» De 1848
chrétienne, économique, libre penseuse ; il faut qu’il
retourne à ses instincts naturels, qu’il proclame les
Droits de
la paresse
, mille et mille fois plus nobles et plus sacrés que
les phtisiques
Droits de l’homme
, concoctés par les
avocats métaphysiciens de la révolution bourgeoise ; qu’il se
contraigne à ne travailler que trois heures par jour, à fainéanter
et bombancer le reste de la journée et de la nuit.
Jusqu’ici, ma tâche a été facile, je n’avais
qu’à décrire des maux réels bien connus de nous tous, hélas !
Mais convaincre le prolétariat que la parole qu’on lui a inoculée
est perverse, que le travail effréné auquel il s’est livré dès le
commencement du siècle est le plus terrible fléau qui ait jamais
frappé l’humanité, que le travail ne deviendra un condiment des
plaisirs de la paresse, un exercice bienfaisant à l’organisme
humain, une passion utile à l’organisme social que lorsqu’il sera
sagement réglementé et limité à un maximum de trois heures par
jour, est une tâche ardue au-dessus de mes forces ; seuls des
physiologistes, des hygiénistes, des économistes communistes
pourraient l’entreprendre. Dans les pages qui vont suivre, je me
bornerai à démontrer qu’étant donné les moyens de production
modernes et leur puissance reproductive illimitée, il faut mater la
passion extravagante des ouvriers pour le travail et les obliger à
consommer les marchandises qu’ils produisent.
III. – CE QUI SUIT LA SURPRODUCTION.
Un poète grec du temps de Cicéron, Antiparos,
chantait ainsi l’invention du moulin à eau (pour la mouture du
grain) : il allait émanciper les femmes esclaves et ramener
l’âge d’or :
« Épargnez le bras qui fait tourner la
meule, ô meunières, et dormez paisiblement ! Que le coq vous
avertisse en vain qu’il fait jour ! Dao a imposé aux nymphes
le travail des esclaves et les voilà qui sautillent allègrement sur
la roue et voilà que l’essieu ébranlé roule avec ses raies, faisant
tourner la pesante pierre roulante. Vivons de la vie de nos pères
et oisifs réjouissons-nous des dons que la déesse
accorde. »
Hélas ! les loisirs que le poète païen
annonçait ne sont pas venus : la passion aveugle, perverse et
homicide du travail transforme la machine libératrice en instrument
d’asservissement des hommes libres : sa productivité les
appauvrit.
Une bonne ouvrière ne fait avec le fuseau que
cinq mailles à la minute, certains métiers circulaires à tricoter
en font trente mille dans le même temps. Chaque minute à la machine
équivaut donc à cent heures de travail de l’ouvrière : ou bien
chaque minute de travail de la machine délivre à l’ouvrière dix
jours de repos. Ce qui est vrai pour l’industrie du tricotage est
plus ou moins vrai pour toutes les industries renouvelées par la
mécanique moderne. Mais que voyons-nous ? À mesure que la
machine se perfectionne et abat le travail de l’homme avec une
rapidité et une précision sans cesse croissantes, l’ouvrier, au
lieu de prolonger son repos d’autant, redouble d’ardeur, comme s’il
voulait rivaliser avec la machine. Ô concurrence absurde et
meurtrière !
Pour que la concurrence de l’homme et de la
machine prît libre carrière, les prolétaires ont aboli les sages
lois qui limitaient le travail des artisans des antiques
corporations ; ils ont supprimé les jours fériés [14] . Parce que les producteurs d’alors ne
travaillaient que cinq jours sur sept, croient-ils donc, ainsi que
le racontent les économistes menteurs, qu’ils ne vivaient que d’air
et d’eau fraîche ? Allons donc ! Ils avaient des loisirs
pour goûter les joies de la terre, pour faire l’amour et
rigoler ; pour banqueter joyeusement en l’honneur du
réjouissant dieu de la Fainéantise. La morose Angleterre, encagotée
dans le protestantisme, se nommait alors la « joyeuse
Angleterre » (
Merry England
). Rabelais, Quevedo,
Cervantès, les auteurs inconnus des romans picaresques, nous font
venir l’eau à la bouche avec leurs peintures de ces monumentales
ripailles [15] dont on se régalait alors entre deux
batailles et deux dévastations, et dans lesquelles tout
« allait par escuelles ». Jordaens et l’école flamande
les ont écrites sur leurs toiles réjouissantes. Sublimes estomacs
gargantuesques, qu’êtes-vous devenus ? Sublimes cerveaux qui
encercliez toute la pensée humaine, qu’êtes-vous
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