Le Droit à La Paresse - Réfutation Du «droit Au Travail» De 1848
devenus ?
Nous sommes bien dégénérés et bien rapetissés. La vache enragée, la
pomme de terre, le vin fuchsiné et le schnaps prussien savamment
combinés avec le travail forcé ont débilité nos corps et rapetissé
nos esprits. Et c’est alors que l’homme rétrécit son estomac et que
la machine élargit sa productivité, c’est alors que les économistes
nous prêchent la théorie malthusienne, la religion de l’abstinence
et le dogme du travail ? Mais il faudrait leur arracher la
langue et la jeter aux chiens.
Parce que la classe ouvrière, avec sa bonne
foi simpliste, s’est laissé endoctriner, parce que, avec son
impétuosité native, elle s’est précipitée en aveugle dans le
travail et l’abstinence, la classe capitaliste s’est trouvée
condamnée à la paresse et à la jouissance forcée, à
l’improductivité et à la surconsommation. Mais, si le surtravail de
l’ouvrier meurtrit sa chair et tenaille ses nerfs, il est aussi
fécond en douleurs pour le bourgeois.
L’abstinence à laquelle se condamne la classe
productive oblige les bourgeois à se consacrer à la surconsommation
des produits qu’elle manufacture désordonnément. Au début de la
production capitaliste, il y a un ou deux siècles de cela, le
bourgeois était un homme rangé, de mœurs raisonnables et
paisibles ; il se contentait de sa femme ou à peu près ;
il ne buvait qu’à sa soif et ne mangeait qu’à sa faim. Il laissait
aux courtisans et aux courtisanes les nobles vertus de la vie
débauchée. Aujourd’hui, il n’est fils de parvenu qui ne se croie
tenu de développer la prostitution et de mercurialiser son corps
pour donner un but au labeur que s’imposent les ouvriers des mines
de mercure ; il n’est bourgeois qui ne s’empiffre de chapons
truffés et de Laffite navigué, pour encourager les éleveurs de la
Flèche et les vignerons du Bordelais. À ce métier, l’organisme se
délabre rapidement, les cheveux tombent, les dents se déchaussent,
le tronc se déforme, le ventre s’entripaille, la respiration
s’embarrasse, les mouvements s’alourdissent, les articulations
s’ankylosent, les phalanges se nouent. D’autres, trop malingres
pour supporter les fatigues de la débauche, mais dotés de la bosse
du prudhommisme, dessèchent leur cervelle comme les Garnier de
l’économie politique, les Acollas de la philosophie juridique à
élucubrer de gros livres soporifiques pour occuper les loisirs des
compositeurs et des imprimeurs.
Les femmes du monde vivent une vie de martyr.
Pour essayer et faire valoir les toilettes féeriques que les
couturières se tuent à bâtir, du soir au matin elles font la
navette d’une robe dans une autre ; pendant des heures, elles
livrent leur tête creuse aux artistes capillaires qui, à tout prix,
veulent assouvir leur passion pour l’échafaudage des faux chignons.
Sanglées dans leurs corsets, à l’étroit dans leurs bottines,
décolletées à faire rougir un sapeur, elles tournoient des nuits
entières dans leurs bals de charité afin de ramasser quelques sous
pour le pauvre monde. Saintes âmes !
Pour remplir sa double fonction sociale de
nonproducteur et de surconsommateur, la bourgeoisie dut non
seulement violenter ses goûts modestes, perdre ses habitudes
laborieuses d’il y a deux siècles et se livrer au luxe effréné, aux
indigestions truffées et aux débauches syphilitiques, mais encore
soustraire au travail productif une masse énorme d’hommes afin de
se procurer des aides.
Voici quelques chiffres qui prouvent combien
colossale est cette déperdition de forces productives. D’après le
recensement de 1861, la population de l’Angleterre et du pays de
Galles comprenait 20 066 224 personnes, dont 9 776 259 du sexe
masculin et 10 289 965 du sexe féminin. Si l’on en déduit ce qui
est trop vieux ou trop jeune pour travailler, les femmes, les
adolescents et les enfants improductifs, puis les professions
idéologiques
telles que gouvernants, police, clergé,
magistrature, armée, prostitution, arts, sciences, etc…, ensuite
les gens exclusivement occupés à manger le travail d’autrui, sous
forme de rente foncière, d’intérêts, de dividendes, etc… , il
reste en gros huit millions d’individus des deux sexes et de tout
âge, y compris les capitalistes fonctionnant dans la production, le
commerce, la finance, etc. Sur ces huit millions, on
compte :
Travailleurs agricoles (y compris les bergers,
les valets et les filles de
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