Le fantôme de la rue Royale
délicieux qu’elle exhalait.
Nicolas fit arrêter son fiacre, baissa la glace, et commanda à un jeune marmiton qui admirait son équipage un demi-poulet qu’on lui apporta aussitôt sur un papier huilé avec un peu de gros sel et un oignon nouveau. Il éprouva un plaisir singulier à le dévorer et, songeant aux goûts de son chef, vérifia qu’en effet les ailerons du poulet, congrûment rôtis, constituaient un plat de roi. Une fontaine, à l’angle de la rue du Petit-Pont, l’abreuva et le dégraissa tout à la fois.
La rue de la Vieille-Boucherie, en revanche, demeurait introuvable dans ce dédale de ruelles, de collèges et d’impasses. Nicolas abandonna sa voiture pour continuer ses recherches à pied. Il se perdit, on l’égara, il parvint enfin au but. On lui indiqua une maison de piteux aspect où une maritorne lui apprit que le vaurien qu’il recherchait logeait désormais au collège de Gesvres, à quelques rues de là, dans le quartier des Écoles. Il finit avec peine par découvrir un bâtiment presque en ruine. Un vieillard qui crochetait de vieux papiers dans la cour écarta les cinq doigts de sa main gauche à sa demande de renseignements sur l’étage où demeurait « Monsieur Nicolas ». L’ascension des marches branlantes, au milieu des détritus, le mit hors d’haleine. La porte ouverte d’un garni offrait une vue en perspective sur une pièce presque nue, dont tout l’ameublement ne comprenait qu’un lit de sangles, une table et une chaise paillée. Une jeune fille, presque une enfant, en chenille, se lavait les jambes dans une cuvette ébréchée. Elle lui jeta un regard à la fois mutin et interrogateur.
— Vous cherchez papa Nicolas ?
— En effet, mademoiselle. Vous êtes sa fille ?
Elle pouffa.
— Oui et non, et beaucoup d’autres choses encore.
Voilà songea-t-il qui correspondait bien à certains échos malveillants parvenus jusqu’aux oreilles de la police, et notamment à celles de l’inspecteur chargé du département des mœurs à la lieutenance générale.
— Vous ne le trouverez pas céans, il est déjà parti.
— Et où pourrais-je le trouver ? Auriez-vous l’obligeance de me le dire ?
— Pourquoi pas ? Vous me le demandez si gentiment. Il est convié par Mlle Guimard, qui donne ce soir une grande fête à la Chaussée-d’Antin. Mais il ne doit s’y trouver que vers dix heures, ayant de nombreuses courses à faire en ville auparavant.
— Abuserais-je de votre bonté en vous demandant s’il compte rentrer cette nuit ?
— Abusez, abusez, j’ai l’habitude… Je ne crois pas… J’en suis même certaine. Il va sûrement trouver une autre paire de petits petons…
Elle rit avec espièglerie.
— Ce qui signifie ? dit Nicolas.
— Rien, je me comprends. Il ne rentre jamais au logis avant l’aube. Nous pourrions l’attendre ensemble…
Cela fut dit sans insister, avec une œillade et un balancement de hanches engageant.
— Hélas ! fit Nicolas. Mes affaires sont par trop urgentes, mais je vous sais gré de la proposition.
Elle esquissa une révérence, comme une comédienne saluant à l’issue du spectacle, et, sans un mot, se remit à sa toilette.
Nicolas reprit à l’envers son périple dans le méandre des ruelles pour retrouver son cocher. La demie de quatre heures venait de sonner et retrouver Rétif tenait pour le moment de la gageure. S’il avait annoncé qu’il se rendait chez la Guimard, la plus célèbre danseuse de l’Opéra, Nicolas était persuadé qu’il répondrait effectivement à l’invitation d’une déesse si considérable, toujours entourée d’une cour de dévots et d’adorants. Il se remémora mentalement la fiche de la dame, consultée il y avait peu, par simple curiosité, après avoir appris par un rapport que son ami La Borde protégeait la danseuse. Il est vrai que le premier valet de chambre du roi nourrissait un goût soutenu pour les sujets jeunes et jolis de l’Académie royale de musique. Marie-Madeleine Guimard avait débuté comme ballerine et, depuis une dizaine d’années, faisait les beaux soirs de l’Opéra. Quelques puissants, l’évêque d’Orléans, le maréchal de Soubise — le vaincu de Rossbach — s’étaient ruinés pour elle. On disait qu’elle avait commandé à l’architecte Ledoux les plans d’une maison et d’un théâtre privé sur un site long et étroit donnant sur la Chaussée-d’Antin. On pourrait y admirer une frise représentant le
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