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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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spécialement soufflés pour moi. Ils possèdent un petit bourrelet de verre qui ne trompe pas et que vous ne rencontrerez nulle part ailleurs chez mes confrères.
    — Et le pourquoi de ce bourrelet de verre ?
    — Justement, monsieur le commissaire… J’utilise ce modèle pour les produits délicats, dont l’usage interne pourrait se révéler dangereux.
    — Mais pour de tels produits la médication n’est-elle pas d’habitude le fruit de la consultation précise du praticien et de l’apothicaire, de laquelle résultent l’ordonnance et ensuite une préparation portée par l’un de vos aides au patient ?
    — Il est vrai que, d’habitude, nous procédons ainsi. Cependant, le patient réclame souvent de lui-même des produits dangereux… et la pratique est la pratique. Et de plus, nous ne sommes pas les seuls à lui en fournir. Messieurs les épiciers…
    Le ton devenait aigre et acrimonieux.
    — … prétendent faire négoce de nos préparations. Ils vendent des produits tout aussi dangereux et même homicides. Nous sommes en procès avec eux depuis des années devant les cours royales.
    Nicolas l’interrompit.
    — Je vous entends. Quant à notre flacon, que contenait-il et qui vous l’a acheté, si votre souvenir vous permet de vous y retrouver ?
    — Le dernier achat de la famille Galaine, car je suppose que c’est d’elle qu’il s’agit, concernait un produit qui, utilisé avec modération et raison, ne génère pas de danger particulier.
    — De quelle substance s’agit-il ?
    L’apothicaire eut un bref instant d’hésitation.
    — Une substance nouvelle, le laudanum. Extrait travaillé du suc de pavot blanc. Il calme la douleur, l’endort et apaise le malade.
    — Peut-il le plonger dans une prostration prolongée ?
    — Certes oui, d’autant plus que la dose prescrite sera dépassée.
    — Pour en revenir à notre propos, qui vous l’a acheté ?
    L’apothicaire tira de dessous son comptoir un grand registre relié en veau qu’il consulta en mouillant son doigt à chaque page tournée.
    — Hum ! Voilà ! Le 27 mai dernier. Pour le délicat, tout est noté, voyez-vous. Le 27 mai, M. Jean Galaine, un flacon de laudanum. Je me rappelle très bien que le jeune homme m’a affirmé vouloir calmer une rage de dents. Ce sont des voisins et Charles Galaine est un négociant honorable, fort considéré dans le petit monde des grands corps, encore que des rumeurs courent sur des embarras d’argent, passagers sans doute. J’espère que vous êtes satisfait, monsieur le commissaire. Nul, plus que moi, n’est soucieux du bon ordre de notre ville.
    — Je vous en remercie. Vos indications me seront précieuses.
    Dans sa voiture qui suivait les quais en direction du Pont-Neuf, Nicolas mesurait l’apparition d’un nouvel élément venant charger l’un de ses suspects. Ce Jean Galaine, ce fils de famille à l’attitude fuyante, dont les rapports avec sa cousine restaient environnés d’ombre et qui ne pouvait justifier de son emploi du temps dans la nuit du crime, était donc celui qui avait acheté le produit destiné à droguer Naganda. L’idée le traversa que tous ces Galaine étaient de mèche les uns avec les autres dans l’accomplissement de leur œuvre de mort et pour recouvrir leur forfait du voile patiemment tissé des contrevérités et des fausses pistes. Qu’allait bien pouvoir lui apprendre Restif de la Bretonne, dont il demeurait persuadé que la présence devant les Deux Castors n’était pas fortuite ?
    Place du pont Saint-Michel, Nicolas fit obliquer le cocher sur la gauche pour emprunter la rue de la Huchette. La proposition de Semacgus lui revenait en mémoire et déclenchait une petite faim d’autant plus sensible qu’elle avait été contenue jusque-là. Nicolas, grand connaisseur de la capitale, n’ignorait pas qu’à toute heure du jour et de la nuit, on pouvait se procurer des volailles cuites dans cette artère. Des tournebroches éternels, pareils à des damnés à la chaîne, entretenaient des braises et le rôtissage. La fournaise des cheminées ne s’arrêtait que pendant le carême. M. de Sartine, toujours aussi soucieux des risques et des moyens d’y parer, prophétisait souvent que, si le feu prenait dans cette rue étroite, et d’autant plus dangereuse par ses anciennes maisons de bois, l’incendie serait inextinguible. La dernière ambassade de la Sublime Porte avait trouvé la rue charmante en raison des parfums

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