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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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place Louis XV où les vestiges de l’incendie du pavillon des artifices avaient presque disparu. La forme d’un nuage, plus effilé que les autres, ramena sa pensée à l’attentat commis sur Naganda. Il revit l’arme précautionneusement retirée par Semacgus du dos de l’Indien, un de ces couteaux de cuisine appelés « eustaches », comme on en vendait par centaines autour de la Halle ; son manche de bois et son unique rivet étaient reconnaissables. Dans le désordre de cette nuit insensée, il se reprochait de ne pas avoir enquêté plus avant sur un acte qui, bien que sans conséquence pour la vie de Naganda, n’en constituait pas moins un crime, et s’inscrivait dans la suite des actes commis chez les Galaine depuis la disparition d’Élodie.
    À y bien réfléchir et sous réserve de vérifications, Nicolas jugeait que la tentative de meurtre devait être concomitante avec l’arrêt du tambour servant aux curieuses cérémonies du Micmac. Mais il ne parvenait pas à déterminer clairement la place des uns et des autres à ce moment-là. Après le premier exorcisme au rez-de-chaussée, le père Raccard avait recommandé à chacun de regagner sa « chacunière » : l’expression, peu usuelle, avait alors frappé Nicolas. Ainsi, une fois de plus, tous les membres de la famille Galaine pouvaient être soupçonnés d’une incursion fugitive dans le grenier et, pendant que lui-même, Semacgus et l’exorciste entouraient la possédée, n’importe lequel d’entre eux avait pu poignarder Naganda. L’arme provenant sûrement de la cuisine, il faudrait interroger Marie Chaffoureau afin de vérifier ce point particulier.
    La préparation de la séance au Grand Châtelet le préoccupait. Il ne suffisait pas de faire comparaître les suspects ; il fallait également veiller à la mise en scène des pièces à conviction. Cela nécessiterait quelques courses, le recours aux bons soins du père Marie, l’huissier, et à Bourdeau. Nicolas répertoria les pièces à exposer, elles participeraient de la grand messe judiciaire qu’il entendait organiser et dont l’effet sur les assistants n’était pas à négliger. Il faudrait tout d’abord rassembler les effets d’Élodie Galaine : sa robe de satin jaune à dos flottant, son corsage jaune paille, son corset en soie blanche, deux jupons, des bas de fil gris, ainsi que la perle noire trouvée dans sa main et des vestiges de foin. À quoi il conviendrait d’ajouter les deux tenues de sortie de Naganda, le flacon d’apothicaire, les bandages trouvés sous le lit des deux sœurs Galaine, le mouchoir aux initiales CG découvert dans la grange du couvent des Filles de la Conception, la lettre de Claude Galaine à son frère, le testament, le collier de pierres noires renfilé et, enfin, le couteau de cuisine ayant servi à blesser Naganda. Il réfléchit qu’un ou deux mannequins de couturière apporteraient une touche incongrue, une fois revêtus des tenues de la jeune femme et de l’Indien, et concourraient à ébranler les caractères les mieux trempés.
    Pour la première fois depuis l’exorcisme, le souvenir des manifestations insensées dont il avait été le témoin s’imposa à Nicolas. Jusque-là, il avait tenté de le refouler, de faire comme si rien de tout cela n’appartenait au monde réel. Une partie de lui-même refusait l’existence de ces manifestations, dont la seule évocation risquait de rallumer la hantise. Le risque existait aussi de voir la Miette retomber dans son état précédent. À quelle force ou influence s’était-il donc trouvé confronté ? Ce qu’il avait ressenti dans sa chambre, rue Saint-Honoré, lui semblait être associé à un avertissement, à une incitation à poursuivre son enquête, alors que les manifestations de possession de la Miette révélaient de manière plus évidente la présence du mal et ne visaient en rien la résolution de l’énigme. Preuve en était, d’ailleurs, qu’une fois l’exorcisme accompli, c’est une Miette apaisée, libérée et somnambule — état étrange, certes, mais naturel — qui d’elle-même les avait entraînés dans la cave vers l’endroit où était dissimulé le nouveau-né assassiné.
    Peu à peu, le soleil de juin pénétrait Nicolas. Il s’était assis sur la terrasse des Feuillants. Une commère joufflue était venue exiger les deux sols de la location de sa chaise. Maintenant, il s’engourdissait, les yeux fermés, dans le roucoulement des

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