Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
Vom Netzwerk:
pierre aux errements humains ?

XI
    COMPARUTION
    C’est dans la personne seule de Sa Majesté que réside la plénitude de la Justice, et les magistrats ne tiennent que d’Elle leur état et le pouvoir de la rendre à ses sujets.
    Maupeou

    Mardi 6 juin 1770
    Nicolas se leva de bon matin. Il souhaitait s’isoler un moment afin de rédiger un court mémoire explicatif dont deux exemplaires seraient portés l’un au lieutenant général de police et l’autre au lieutenant criminel. Il occupa une bonne partie de la matinée la bibliothèque de M. de Noblecourt et, vers onze heures, sa tâche accomplie, il décida de prendre l’air afin de réfléchir à la séance décisive de la soirée. La marche déterminait toujours chez lui une exaltation de pensée à la fois passionnée et inconsciente, dont les résultats ne devaient pas être utilisés sur-le-champ mais délibérément emmagasinés, prêts à resurgir à la moindre injonction, comme des munitions de réserve disponibles à tout moment dans le terrible travail qui conduisait à confondre le crime. Il se dirigea à grands pas vers les Tuileries, laissant jouer une imagination que favorisait le spectacle varié de la rue.
    Le jardin offrait un coup d’œil agréable par ce beau jour de juin. La grande allée était bordée de deux rangées de jeunes femmes en tenues claires avec, çà et là, des enfants qui jouaient à se poursuivre. Depuis peu, les policiers du bureau des mœurs observaient les filles publiques qui occupaient sur les chaises louées des points stratégiques. De là, elles raccrochaient le passant par des regards qui faisaient baisser les yeux aux plus hardis comme aux plus pudiques. Elles attendaient avant midi que quelqu’un leur offrît à dîner, et elles manquaient rarement leur coup. Le commissaire du quartier s’en était ouvert à Nicolas, tout en lui précisant que l’enclave des Tuileries échappait à sa juridiction, les jardins royaux dépendant de la prévôté de l’Hôtel. Or, les agents de cette institution paraissaient infiniment moins sévères que les hommes de la police. Le bruit courait en effet qu’ils se laissaient facilement corrompre et ne dédaignaient pas de prélever leur tribut de plaisir gratuit en acceptant de fermer les yeux sur la coupable industrie des servantes de Vénus.
    Ces réflexions le ramenèrent à ses conversations avec Restif de la Bretonne et à son étonnante confession. Ainsi, Mme Galaine en était venue à se livrer, elle aussi, à ce commerce ! L’honorable épouse d’un maître marchand pelletier n’avait trouvé que cet expédient déshonorant pour sauver l’avenir de son enfant du naufrage attendu de sa maison. Nicolas ne parvenait pas à s’en persuader, et pourtant, son informateur, que des liens si étroits attachaient à la police, se révélait, par ses habitudes et ses vices, un témoin qu’on ne pouvait récuser. Nicolas soupçonna sa propre candeur native, pourtant battue et rebattue depuis des années par le contact obscène avec la réalité, de lui jouer un de ces tours où elle misait sur sa petite part d’innocence préservée. Mais le fait était que Mme Galaine, fraîche encore, pouvait en une industrie régulière et paisible, procurer des plaisirs à toute une foule de bons bourgeois tranquilles que le tapage et la vulgarité de ses consœurs rebutaient. Elle devait rassembler de la sorte une clientèle d’habitués et, semaine après semaine, arrondir benoîtement son bas de laine. Le couple Galaine allait d’évidence à vau-l’eau ; le mari ne prêtait guère attention aux absences régulières de sa femme. Des sorties au théâtre ou à l’Opéra, dont les débours ne l’inquiétaient pas puisqu’on ne lui demandait rien, permettaient de justifier les absences nocturnes de l’épouse. Quant à Dorsacq, le commis dont il faudrait éclaircir le rôle dans tout cela, au mieux il jouait le rôle ingrat d’un sigisbée, au pire, maquereau mondain, il racolait pour la belle moyennant finances et peut-être faveurs. Il résultait de cette nouvelle étonnante que Mme Galaine, l’un des suspects, possédait pour le coup un alibi, mais celui-ci n’impliquait pas forcément que la boutiquière fût pour autant innocente des crimes perpétrés rue Saint-Honoré. Il y avait des complicités pires que des actes.
    La pensée de Nicolas continuait à vagabonder, entraînée par les petits nuages blancs qui filaient vers les boulevards au-dessus de la

Weitere Kostenlose Bücher