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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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pigeons des grands marronniers et les cris aigus des enfants couvrant le bruit lointain des équipages qui traversaient à grand trot la place Louis XV. Cet état, qui exprimait aussi la fatigue accumulée de journées sans relâche et de nuits sans sommeil, le conduisit bien au-delà de la méridienne. Il retraversa les jardins pour rejoindre les quais et gagna le Grand Châtelet.
    Il retrouva le père Marie dans sa soupente du vieux palais médiéval, dînant seul d’une pièce de veau entourée d’un fricot fumant d’œufs au lard dont il étalait les ingrédients sur de larges tranches de pain frais. Il engagea le commissaire à partager son repas, ajoutant, pour l’appâter, qu’il serait arrosé d’une bière nouvelle qu’une buvette des alentours venait de recevoir. Nicolas se laissa vite convaincre et s’amusa à écouter les doléances de son hôte, persuadé que la longe de viande, portée le matin même dans son plat de terre au four du boulanger voisin, avait perdu en poids et quantité et qu’il soupçonnait la fraude en cette affaire. Nicolas le rassura, se rappelant que sa nourrice Fine, à Guérande, disait la même chose chaque fois qu’elle portait cuire, dans les mêmes conditions, son plat fameux de canard aux pommes. Il consola le vieil homme en observant que rien ne valait, pour ces plats rustiques, la chaleur intense mais régulière du four à pain et que le résultat méritait bien quelques inconvénients au reste largement imaginaires. Ils évoquèrent leur Bretagne natale et le père Marie voulut, à tout prix, qu’ils trinquent avec son fameux contrecoup, ce « lambig » vénérable qui titrait fort, enflammait les entrailles et réveillait les morts. Nicolas ne put qu’accepter, de peur de le vexer ; il réussit cependant à en renverser subrepticement une partie sur une tranche de pain. Il prit ensuite les dispositions nécessaires avec l’huissier pour que les pièces à conviction, entreposées dans une armoire du bureau de permanence, fussent disposées comme il le souhaitait. Le père Marie connaissait un petit atelier de travailleuses à la toilette qui accepteraient moyennant une honnête rétribution de leur prêter deux mannequins.
    Bourdeau survint à l’improviste. Nicolas l’informa des derniers éléments de l’enquête et le pria de faire conduire à l’audience le fripier chez lequel des pièces à conviction avaient été mises en gage. Puis, son petit carnet noir à la main, il alla méditer dans la salle d’audience du lieutenant général. Il souhaitait réfléchir sur la manière d’aborder la séance et d’aboutir à un résultat. Sa croyance en la raison lui donnait la certitude que la clé de l’affaire surgirait du déploiement des résultats de l’enquête. Toutefois, il était conscient que le cadre étroit des investigations ne permettait pas d’enfermer les nuances du vivant et de l’humaine condition. Il le savait : seule l’intuition — ce qu’il éprouvait comme une personnelle et particulière connaissance des suspects qui n’excluait pas sympathie et compréhension — pourrait apporter la vérité.
    Vers la demie de quatre heures, on vint allumer les flambeaux dans la grande salle gothique où le jour ne parvenait que par d’étroites verrières. Une vieille tapisserie usée figurait les armes de France et, sur une estrade, deux fauteuils attendaient les magistrats. Gardés par des exempts, les suspects prendraient place sur le côté gauche. Nicolas, en robe noire et perruque, se tiendrait face à eux, devant une table rassemblant les pièces à conviction, entouré de deux mannequins portant les défroques de Naganda et d’Élodie. Les ombres mouvantes de ces silhouettes épousaient les vacillements des flammes, offrant une image inquiétante.
    Les prévenus arrivèrent, l’air morne et silencieux. Seules les deux sœurs paraissaient outrées de se trouver là et arboraient un air de suffisance. Une fois assises, elles ne cessèrent de toiser Nicolas tout en pérorant à voix basse comme s’il s’était agi de le provoquer. Mme Galaine promenait son air d’indifférence habituel avec le sérieux d’une croyante écoutant un sermon ennuyeux. Les Galaine père et fils baissaient la tête, accablés. La Miette, presque belle, qui se déplaçait seule désormais, souriait comme un séraphin avec un visage restauré dans sa simplicité, et sur lequel l’empreinte du mal avait disparu. Naganda, lui aussi rétabli

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