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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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la noblesse où l’obsession de la pureté du sang pouvait dévoyer les âmes les plus belles. Lui-même n’était-il pas le produit bâtard de cette conception surannée ? Ou encore cet honneur qui, dans le secret des demeures, s’attachait à chaque atteinte aux règles de la civilité, à chaque transgression d’une culture établie et à la moindre censure des regards scrutateurs du voisinage. Celui-là même qui conduisait à éclabousser l’ensemble d’une famille pour la seule faute de l’un des siens. Se trouvait-il devant un cas semblable ? Certains magistrats avaient recours, dans ces affaires, à des enlèvements arbitraires en plein jour. La lettre de cachet était, de ce point de vue, un progrès, car elle ne s’exécutait que toutes précautions prises pour éviter le scandale. Alors que les arrestations auxquelles procédait l’autorité judiciaire étaient environnées d’éclat, la lettre de cachet préservait l’honneur, le délinquant étant retiré au monde, et son ignominie disparaissant avec lui dans le secret du cachot ou dans la cellule d’un couvent. La famille, blessée dans son honneur, laissait le lieutenant général de police scruter son intimité, et le roi, en contrepartie, enfouissait la faute à jamais. Élodie Galaine avait-elle péri à cause d’une conception excessive de l’honneur, par un dévoiement criminel qui inversait les facteurs en privilégiant le crime au détriment du salut ?
    Bourdeau le tira de sa réflexion. La voiture, arrêtée devant les Deux Castors , était environnée d’une foule qui s’agitait devant la vitrine. Un exempt connu de Nicolas barrait l’accès de la porte à des femmes déchaînées auxquelles s’était jointe une troupe de badauds. Nicolas sauta à terre, se fraya un chemin à coups de coude pour interroger l’homme sur les raisons de cette émotion.
    — C’est que, monsieur le commissaire, une servante de cette maison, une jeunesse maigrelette, a trouvé moyen de sortir en purette et même nue comme la main. Et la voilà qui saute, qui tremble, qui marche sur le dos, qui bave et qui hurle ! On s’attroupe, on rit, on s’inquiète et je suis arrivé tout juste pour éviter que ces mégères ne la lapident comme chien enragé. Ça été encore toute une histoire. Elle était raide comme un bout de bois et a tenté de me mordre. Dieu soit loué, sa maîtresse a apporté une couverture dans laquelle on l’a roulée avant de la mener à sa couchette, où elle est tombée endormie.
    Les cris redoublaient autour d’eux. Une énorme matrone bouscula Nicolas d’un coup de ventre. Les mains sur les hanches, elle harangua la foule.
    — C’est-y pas par hasard qu’on voudrait nous empêcher de noyer la sorcière ? C’est-y pas que tu voudrais t’y mettre en travers ? Si tu crois qu’on t’a pas reconnu, crevure à Sartine !
    — Cela suffit ! fit Nicolas d’une voix forte. Vous, le ragot, fermez-la ou vous finirez à l’Hôpital 28 . Quant à vous, bonnes gens, je vous somme au nom du roi et du lieutenant général de police d’avoir à vous disperser à l’instant. Sinon…
    La foule, impressionnée par l’autorité de Nicolas renforcée par la robuste présence de Bourdeau, recula, non sans avoir salué de clameurs et de lazzis le nom de M. de Sartine, ce qui donna à penser à Nicolas. Les deux policiers firent sortir les Galaine, et leur petite troupe pénétra dans la boutique. Des chandelles éclairaient Mme Galaine, fort pâle. Il s’ensuivit une scène muette durant laquelle Bourdeau poussa les hommes dans le bureau, tandis que Nicolas s’adressait à la boutiquière.
    — Madame…
    — Monsieur, je dois sur-le-champ voir mon mari.
    — Plus tard, madame. Il a reconnu le corps de votre nièce par alliance. Elle a été assassinée.
    Émilie Galaine ne manifesta aucune réaction. Son visage à la lueur dansante des chandelles demeurait impassible. Que signifiait cette absence de sentiments ? Nicolas avait parfois rencontré cette impavidité ; elle dissimulait souvent une grande émotion.
    — Madame, votre emploi du temps, hier ?
    — Inutile de m’interroger, monsieur le commissaire, je n’ai rien à vous dire. Je suis sortie, je suis rentrée.
    — Madame, c’est un peu court. Imaginez-vous que je vais me satisfaire de cela ?
    — Peu m’importe, c’est tout ce que vous obtiendrez de moi.
    Elle reprenait des couleurs, comme si un sang plus vif circulait sous sa peau. Elle tapa

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