Le fantôme de la rue Royale
pour uniforme du même acabit. D’ailleurs, je parierais…
Il se dirigea vers un meuble composé de tiroirs juxtaposés et fouilla dans l’un d’eux. Il ne fut pas long à en tirer une poignée d’objets semblables.
— J’étais sûr les avoir vus quelque part. Vous êtes bien placé pour savoir que j’ai des pratiques, et des plus huppées, à la Cour et à la ville. Eh bien ! Ce petit article de laiton appartient à une babiole de fantaisie ajoutée, je dirais surajoutée, au nouvel uniforme des gardes de la Ville, si malheureusement porté pour la première fois lors de la fête que le prévôt offrit aux Parisiens, place Louis XV.
— Voilà qui me satisfait. Pousseriez-vous la complaisance jusqu’à me confier le nom de vos clients pour cet article ?
— Je ne peux rien vous refuser. Voyons, il y avait Barboteux, Rabourdin…
Il consulta un registre écorné.
— Tirart et… Langlumé. Lui, c’était le major, le plus exigeant et le plus… arrogant, je dois le dire.
Nicolas dut encore palper quelques tissus qui venaient d’entrer en boutique et recevoir les offres du maître artisan avant de prendre congé. Puis il marcha, pensif, dans ce quartier qu’il connaissait bien pour y avoir vécu lors de son arrivée à Paris. Il passa devant la maison des Blancs-Manteaux, théâtre de ses premiers exploits. Dieu que cela était loin ! Mais le présent multipliait les surprises. Maître Vachon venait de lui dévoiler un pan ignoré de la vie de Sanson. La police de M. de Sartine ignorait-elle ces choses ou lui-même n’avait-il pas cherché à les connaître ? Les êtres étaient si divers dans l’image qu’ils offraient aux autres. Ils ouvraient des tiroirs différents selon leurs interlocuteurs ; ou, comme des miroirs, reflétaient ce que l’on attendait d’eux. Ainsi, cet homme effacé, aux qualités prouvées, savant et même érudit, pieux, sinon dévot, sensible et pitoyable, cherchant toujours à tirer bénéfice des apports d’une science acquise dans la souffrance des torturés et des condamnés, pouvait aussi se montrer léger et soucieux de son apparence, à l’opposé de l’homme timide en habit puce qui officiait dans la pénombre de la Basse-Geôle. Après tout, chacun avait droit à sa liberté, et Sanson exorcisait peut-être ainsi l’horreur quotidienne de sa tâche. Nicolas s’en voulut soudain de son jugement. Il devait faire crédit à quelqu’un qu’il considérait comme un ami. Ceux qui bénéficiaient de ce qualificatif n’appelaient pas de jugement, il fallait les prendre comme ils étaient, avec leurs lumières et leurs ombres.
Nicolas monta dans un fiacre rue Saint-Antoine. Ainsi, il ne s’était pas trompé ; la petite pièce qui avait bloqué la porte menant aux terrasses de l’hôtel des Ambassadeurs extraordinaires provenait bien de l’uniforme d’un garde de la Ville. Or, qui d’autre que le major Langlumé pouvait avoir accès à ce bâtiment réservé aux invités de marque du prévôt des marchands ? Lui seul, pour des raisons à éclaircir aurait pu nourrir le dessein d’enfermer un commissaire dans les combles. Ce n’était pas Nicolas personnellement qui était visé, même si un incident les avait opposés quelques heures plus tôt, mais bien l’envoyé de M. de Sartine, l’œil du lieutenant général de police sur la fête. Entraver le cours normal de la mission d’un magistrat, tel était, simplement énoncé, le résumé de l’acte du major. Il conviendrait d’en découvrir les mobiles, qui n’étaient pas sans rapports avec la suite de la catastrophe. Peut-être les choses auraient-elles tourné différemment si Nicolas, ayant perdu de longs moments à s’évader par la cheminée, n’avait pas été empêché d’agir.
Mais une autre curiosité titillait Nicolas, qui se promit de consulter les archives du Châtelet. Leur collection ne laissait pas de surprendre ses rares lecteurs par la variété de ses informations, les unes colportées par les mouches, les autres extraites des opérations du cabinet noir. Cette idée le tarauda jusqu’à son bureau. À peine arrivé, il alla consulter les vieux registres. Aidé par un antique greffier conservateur des lieux, il tomba rapidement sur une liasse imposante consacrée à la famille Sanson. Documents, extraits et fiches se superposaient en un amas informe et néanmoins chronologique. Il finit par trouver un papier récent qui paraissait résumer
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