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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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donné. Mais je suis d’une génération où l’amitié — que dis-je l’amitié : le regard jeté — d’un duc et pair faisait partie de l’héritage précieux d’une famille. Il n’est pas si mauvais qu’il veut s’en donner l’air, mais il ne pense qu’à lui. Ce soir, en esprit fort, il nous a imposé de la viande alors que nous sommes vendredi. Il a dédaigné des soles normandes apprêtées divinement par Marion et Catherine. Vous imaginez leur fureur !
    — Je le trouve bien insolent.
    — Que voulez-vous, il réussissait à faire rire Mme de Maintenon elle-même ! Vous le jugez ainsi parce qu’il a attaqué Sartine. Cependant ce n’est pas après le lieutenant de police qu’il en a, il en veut à l’ami ou, au prétendu ami, de Choiseul. Il ne juge les autres qu’à travers le prisme de ses intérêts et de sa gloire. Même dans sa vie privée, si scandaleuse, l’ostentation écrase le sentiment. Son amour des voluptés est une autre forme de son orgueil, et comme les femmes lui furent toujours d’une générosité sans bornes, elles l’ont toujours conforté dans son système.
    Il sonna. Poitevin apparut.
    — Qu’on serve les soles à Nicolas. Au moins serai-je assuré qu’elles seront appréciées.
    M. de Noblecourt reprenait goût au moment présent.
    — En pleine enquête, je suppose, Nicolas ? Tout en mangeant, contez-moi ce que le secret ne vous impose point de celer, cela me distraira.
    Nicolas s’attaqua aux poissons qu’il arrosa de vin rouge, la goutte ayant fait proscrire le blanc dans l’hôtel de Noblecourt, en raison du peu de volonté du maître de maison. Il développa par le menu les péripéties des deux enquêtes dans lesquelles il était plongé. Noblecourt demeura pensif un moment.
    — Vous voilà à nouveau engagé dans une très délicate affaire. Comprenez bien que vous êtes pris au piège entre des puissances qui s’affrontent. Nul ne peut soupçonner le prévôt des marchands d’avoir lui-même organisé la catastrophe de la place Louis XV. Mais nul n’est assez sot pour ignorer qu’il fera tout pour charger un autre de la responsabilité du désastre.
    — A-t-il vraiment ce pouvoir ?
    — Ne vous y trompez pas, la nouvelle sultane, qui est d’autant plus dangereuse qu’elle a en permanence accès au Roi et qu’elle se sent menacée par l’arrivée de la Dauphine, sa rivale naturelle à la Cour, s’évertuera à accabler tous ceux qui sont censés appuyer Choiseul. Et, malheureusement, Sartine passe, à tort ou à raison, pour son ami.
    — Vous savez le prix que j’attache à vos jugements, dont je me suis toujours bien trouvé. Quel est votre sentiment sur le crime de la rue Royale ?
    — Votre Indien m’intéresse. Il me plaît que ce naturel des profondeurs sauvages du Nouveau Monde use ainsi de notre langue. Il me paraît de bon aloi, tout en vous cachant sans doute l’essentiel. Pour le reste, les familles sont fréquemment le théâtre de guerres domestiques dont la découverte éclaire soudain d’un jour nouveau le calme apparent des intérieurs. Je vous dirai aussi que les sœurs Galaine me paraissent bien finaudes sous leur excentricité. Voilà mes premières impressions. Sur ce, Nicolas, je vole me coucher ; cette soirée m’a éprouvé. En vous laissant en tête à tête avec les fruits de Neptune, je vous souhaite la bonne nuit.
    Cyrus se laissa glisser des bras de son ami et suivit languissamment son maître. Nicolas, éreinté, ne prolongea pas la soirée et, après avoir dépêché les deux soles et vidé la bouteille à la grande satisfaction de Poitevin qui courut apporter la nouvelle aux deux cuisinières, il monta se coucher. Il se retourna longtemps, mêlant les éléments des deux affaires, essayant de se remémorer certains détails qui lui échappaient. Le sommeil le gagnant, tout se confondait dans sa tête, et sa dernière vision fut celle de trois dés roulant et s’entrechoquant sans jamais s’arrêter.

    Samedi 2 juin 1770
    Après avoir soigné sa toilette et revêtu un sobre mais élégant habit gris foncé, Nicolas coiffa perruque. Il détestait en porter, surtout par ces premières chaleurs. Il déjeuna de pains mollets et d’une bavaroise 50 et s’enquit de la santé de M. de Noblecourt dont l’amertume la veille au soir l’avait frappé. Celui-ci, au dire de Catherine, s’était levé de bon matin et, après une légère collation, avait décidé de suivre les conseils de son

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