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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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étaient bien trop respectueuses de leur père pour se permettre cette incongruité. Restait la favorite, et si cette hypothèse était la bonne, il y avait là une indication précieuse. En dépit de son influence sur le vieux roi, elle n’avait pas accès à certaines affaires. Sans qu’il pût s’expliquer pourquoi, cela réconforta Nicolas. À sa stupeur, le roi s’adressa à lui.
    — Ranreuil, savez-vous « jarreter » un lapin sans couteau ?
    Nicolas s’inclina.
    — Oui, Sire, en lui déchirant seulement les ergots.
    — Sartine, il est aussi fort que Lasmatartes, mon premier piqueux.
    Le roi parut réfléchir un moment.
    — Enfant, j’ai voulu un matin visiter l’Infante. On ne trouvait point la clef de la grande galerie. J’en fis des représentations à M. le maréchal 59 , qui la fit enfoncer. On en murmura fort. Qu’en dites-vous ?
    — Que nous sommes aux ordres de Votre Majesté.
    Le roi semblait rentrer en lui-même, la tête comme affaissée. Sa main droite torturait un bouton de sa manche gauche.
    — Qu’on en vienne à prendre mes silences pour des ordres ! Comment va la Ville, monsieur mon lieutenant général de police ?
    De sa voix toujours un peu enrouée, le roi avait insisté sur le possessif.
    — La Ville, dit Sartine, digère son malheur. Elle a beaucoup pleuré ; elle a un peu conspué votre serviteur, et…
    — Le vent a tourné, comme toujours.
    — Oui, Sire, et plus vite qu’on pouvait s’y attendre. La présence de M. Bignon dans sa loge de l’Opéra, hier soir, a fait scandale. Il a été sifflé. Ses propos rapportés l’ont condamné dans le public.
    — Qu’a-t-il dit ?
    — Que s’il y avait eu beaucoup de victimes, c’est qu’il y avait beaucoup de spectateurs, et donc que la fête était réussie.
    — Il n’en fera jamais d’autres, son oncle avait raison ! Mais, sur les causes de ce désastre, j’aimerais entendre notre petit Ranreuil.
    Dans l’exiguïté du cabinet, Sartine dut s’effacer pour laisser Nicolas face au roi.
    Il prit la parole sans émoi particulier. Il avait commencé sa carrière de courtisan par un récit ; il se sentait un homme du roi, qui toujours lui avait manifesté sa bienveillance. Coups d’œil du souverain dans les cérémonies de la Cour, marquant qu’il était reconnu, invitations à courre régulières où son expérience de la chasse et sa prestance à cheval étaient admirées, enfin aujourd’hui participation au secret du roi, dont le symbole était l’accès à ce cabinet si retiré. À cela s’ajoutait l’amitié sourcilleuse de M. de la Borde. Tout concourait à le faire apprécier d’un homme qui, dans son particulier, n’aimait rien tant que la discrétion, la fidélité, une bonne mine et la capacité de distraire. Il mit sans exagérer la verve et le mouvement nécessaires au récit d’un événement tragique. Il entra dans le détail des faits sans insister sur les responsabilités. Le roi, à la fois fasciné et effrayé de la description du désastre, voulut cependant en savoir plus sur les causes réelles. En savoir plus, songeait Nicolas, ou confirmer ses certitudes et la part que lui-même, par sa décision de donner champ libre au prévôt des marchands, pouvait avoir dans les causes de ce désordre.
    — Sire, reprit-il, il m’apparaît, nonobstant ma qualité et de toute bonne foi, que la négligence doit être imputée à M. Bignon et aux échevins qui avaient prétendu qu’à eux seuls revenait le droit de police dans tous les lieux adjacents au centre de la fête et des réjouissances.
    — Et pourquoi cette prétention ?
    Nicolas évita le piège. Sartine lui avait jeté un coup d’œil, inquiet.
    — L’argument était que le festoiement du peuple était payé sur la caisse de la Ville.
    Cette explication parut rassurer le roi.
    — Or, ajouta Nicolas, outre l’incendie de la redoute des artifices et l’encombrement de la rue Royale, la garde bourgeoise aurait dû être plus nombreuse et mieux commandée. Ses chefs jouaient au vingt-et-un dans un tripot voisin plutôt que de remplir leur devoir dans une circonstance aussi intéressante pour la sûreté publique. Mille cinq cents livres refusées au colonel du régiment des gardes-françaises pour la mise en place de mille deux cents hommes aguerris à ce genre de rassemblement, auraient pu faire la différence. Enfin, la faute majeure est d’avoir laisser entrer dans la rue Royale les équipages des

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