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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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bouger et de battre le briquet pour allumer la chandelle, tant il craignait d’avoir le spectacle de la vermine grouillant dans la paillasse, quant à nouveau trois coups distincts se firent entendre, frappés d’évidence à la porte dérobée.
    Qui, à cette heure, pouvait se trouver là et chercher à le réveiller ? Il se leva, prit un briquet dans son portemanteau et alluma la chandelle qui se mit à filer en exhalant son âcre remugle. Il s’approcha de la porte et tenta de tourner le bouton qui résista ; elle était bel et bien fermée. Il décida de se recoucher. Sans doute son rêve avait-il été à l’origine de cette hallucination sonore. Ces vieilles demeures craquaient toujours, en particulier aux changements de saisons. Le bois des charpentes continuait longtemps à vivre, se resserrant et se dilatant au gré des températures, de l’humidité ou de la sécheresse. À moins qu’il ne s’agît d’un de ces rats qui pullulaient dans la ville. Leur nombre surpassait ce que la raison pouvait imaginer. Des armées entières vivaient dans les profondeurs du sous-sol et remontaient le soir dans les maisons. La domesticité était contrainte de mettre les aliments et les réserves de chandelles à l’abri de leur insatiable voracité. La mort aux rats arsenicale répandue dans les logis occasionnait mille drames. Parfois, au cimetière des Innocents, où cinquante mille crânes étaient rangés en amphithéâtre, une tête de mort se mettait à rouler toute seule. C’était un rat, logé dans ce crâne, qui, incapable d’en ressortir, déclenchait ce prodige. Amusé par cette image, Nicolas allait sombrer dans l’inconscience quand trois nouveaux coups résonnèrent, cette fois à la porte donnant sur le palier.
    Il bloqua sa respiration pour mieux guetter les bruits de la nuit, mais il n’y avait pas de bruit. Son cœur lui faisait mal. Il se glissa hors de la couchette, puis se jeta sur la porte qu’il ouvrit avec brutalité. Personne ! Pour le coup, il était pourtant sûr de n’avoir pas rêvé. Il fit quelques pas sur le palier, tâtonnant le long des murs, regagna la chambre, alluma la chandelle, ressortit et examina la porte voisine, celle de la chambre d’Élodie. Il l’ouvrit. La lumière vacillante éclaira une chambre de jeune fille tapissée d’une toile à motifs fleuris. Il repéra aussitôt la porte qui donnait sur son réduit. Au moment où il s’en approchait, celle-ci fut ébranlée par trois nouveaux coups. Il repartit en courant dans l’autre pièce, assuré de surprendre le mauvais plaisant qui se moquait de lui, mais le lieu était vide. Aucun bruit ne troublait le repos de la maison Galaine. Le marchand pelletier et sa femme n’étaient, à l’évidence, aucunement troublés par les coups, et pourtant leur chambre se trouvait à quelques pas de là.
    Que se passait-il donc ? Par quel étrange phénomène ces bruits entêtants le poursuivaient-ils ? Nicolas en venait à douter de ses propres sens. Son esprit fatigué lui créait-il des apparences favorisées par les événements étranges déjà survenus ici ? Pour la première fois de sa vie, Nicolas, toujours guidé par la raison, la mettait en question. Il réfléchit longuement à ce qui lui arrivait, sans parvenir à trouver une explication acceptable ou simplement plausible. En désespoir de cause, il finit par se recoucher, les muscles noués comme dans l’attente d’un coup. Ce qu’il venait d’éprouver entachait de doute tout ce à quoi il croyait. Il cherchait avec une sorte de désespoir maniaque à trouver des explications, des causes cachées, des hypothèses auxquelles il n’aurait pas songé. Revenaient à sa mémoire les histoires de son enfance, glanées lors des veillées, quand Fine, en faisant griller les châtaignes, égrenait à voix basse les contes de la vieille contrée celtique. Il écoutait avec une horreur mêlée de plaisir la description méticuleuse des supplices et le dernier voyage des âmes des revenants, emprisonnées dans des corps de chiens noirs et précipitées dans le youdic , le Styx breton. Les hurlements du vent et le craquement du feu accompagnaient ces récits au bout desquels sa vieille nourrice prenait plaisir à rassurer l’enfant. Ce souvenir l’apaisa et il s’endormit. Il songea que seules les enfances heureuses resurgissaient ainsi, avec les visages aimés des êtres disparus.

    Dimanche 3 juin 1770, jour de Pentecôte
    Vers quatre heures, la lueur

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