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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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deux individus ressemblant au sauvage accompagnés de deux filles habillées différemment. Tu m’assures que ce ne pouvait être les mêmes. Et les gardes-françaises ? À quelle heure ont-ils eu recours à tes services ?
    — Après la fête. Le bruit courait déjà que ça n’avait pas fusé trop bien sur la place. Mais je crois surtout qu’ils évoquaient une égrillardise qui datait déjà. À ce moment-là, il était deux heures avant minuit, tout au plus.
    — Merci, Jean. Tout cela me sera fort utile.
    En lui serrant la main, il lui glissa un écu de cinq livres qui fit grimacer Tirepot de plaisir. Nicolas poursuivit son chemin. Quel malheur, songeait-il, que Miette n’ait pas repris connaissance et qu’il soit impossible de l’interroger. Il lui avait bien été précisé qu’elle accompagnait sa jeune maîtresse à la fête. Que s’était-il passé ? Et que dissimulait cet imbroglio insensé qui doublait les apparences de Naganda, alors que lui-même était drogué dans sa soupente et qu’on lui avait volé ses vêtements ?
    Nicolas s’accorda un certain temps avant de rejoindre les Deux Castors . Il avait besoin de faire le vide en lui afin de permettre à sa réflexion de mieux intégrer les éléments confus et contradictoires que l’enquête ne cessait de lui apporter.

    Quand il arriva rue Saint-Honoré, la famille Galaine s’apprêtait à souper. Il déclina l’invitation du maître de maison, tout en le rassurant sur la continuité de la pension qu’il lui versait. Il retrouva Semacgus dans la chambre de Miette. Le chirurgien de marine s’interrogeait sur la nature d’une torpeur qu’il était dans l’impuissance de dissiper. Il confia Cyrus à Nicolas et l’avertit, goguenard, qu’il comptait passer la soirée, et sans doute la nuit, chez la Paulet, au Dauphin couronné . Ainsi, ne serait-il guère éloigné et il accourrait aussitôt si Nicolas l’envoyait chercher.
    Dans sa chambrette, le commissaire considéra les restes du repas apporté par Semacgus. Il n’avait pas faim et en fit profiter Cyrus, à qui il versa aussi un peu d’eau dans une écuelle. Heureusement, son ami avait songé à lui apporter des bougies de bonne cire. Dès que le jour tomba, il les alluma, se déshabilla et s’allongea sur la couchette afin de se consacrer à la lecture. M. de Sartine l’autorisait à emprunter des livres dans la bibliothèque de l’hôtel de Gramont, privilège d’autant plus précieux qu’il collectionnait les ouvrages interdits ou saisis. Il se plongea dans l’ Essai sur les gens de lettres et sur les grands de d’Alembert. Le philosophe y opposait les vaines prétentions de la noblesse et du sang aux vertus du talent et de l’égalité. Pour lui, la société devait désormais être organisée autour du progrès de la science et du commerce. Bientôt, le livre lui tomba des mains. Il entendit les Galaine rejoindre leurs chambres respectives. Il revécut sa journée et songea au pauvre visage ravagé du père Grégoire, auquel son esprit fatigué surimposa soudain celui du roi. Lui aussi avait bien vieilli. Les chagrins ne lui manquaient pas. La piété de sa fille Louise venait de lui inspirer le projet de se retirer chez les Carmélites. En avril, elle avait cédé à sa vocation et, avec l’agrément de son père, s’était enfermée dans le couvent de Saint-Denis, se séparant de tout ce qui pouvait tenir au monde et à sa dignité. Le chagrin du roi, selon La Borde, perdurait, et seules les fêtes du mariage de son petit-fils l’avaient quelque peu atténué, mais la catastrophe du 30 mai risquait de le ranimer.
    Cyrus s’était hissé sur le matelas et dormait, confiant, une patte sur la jambe de son ami ; Nicolas l’écarta avec douceur. Avant de s’endormir, il lui restait une dernière chose à faire. Il prit une boîte de poudre à perruque dans son nécessaire de toilette et, sur la pointe des pieds, ouvrit la porte de son réduit, sortit dans le corridor et répandit une demi-circonférence de la substance tout autour de l’entrée. Ainsi, si l’on voulait vraiment lui jouer un tour, le coupable laisserait les empreintes de ses pas. Il regagna son lit et observa les mêmes précautions que la veille contre l’engeance rampante et piquante. Bercé par la calme respiration de Cyrus, il s’endormit aussitôt, non sans avoir au préalable récité les prières de son enfance apprises de la bouche du chanoine Le Floch et de sa nourrice.

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