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Le fantôme de la rue Royale

Le fantôme de la rue Royale

Titel: Le fantôme de la rue Royale Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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surpris de mon mystérieux départ en septembre 1765. Appelé au dur et fécond labeur de l’apostolat, je n’ai prévenu ni famille ni amis, au premier rang desquels vous demeurez, connaissant ma faiblesse et leur amitié. Il m’en a beaucoup coûté de prendre ce parti sans vous en avertir.

    Je me suis embarqué à Lorient sur un des navires de la compagnie des Indes. Je suis arrivé à Hon-dat, petite île du golfe du Siam, après bien des aventures que j’espère vous conter un jour. Au début de janvier 1768, les Siamois nous ont envahis et j’ai eu le bonheur de passer le saint temps du carême en prison, condamné à la cangue, c’est-à-dire portant au cou une échelle d’environ six pieds. J’y ai attrapé une fièvre de quatre mois dont je suis pour l’heure guéri.

    Je prie le Seigneur qu’il me fasse la grâce de rentrer bientôt en prison et d’y souffrir et mourir pour son saint nom. Souvenez-vous de moi qui ne vous oublie pas.
    Pierre Pigneau miss. apost.
    Que pesaient ses propres tourments au regard d’une telle foi et d’une aussi sublime abnégation ? Nicolas mesura soudain à quel point cet ami des premiers temps lui manquait. Il héla une vinaigrette 73 et décida de se faire conduire au Grand Châtelet. Semacgus patienterait bien jusqu’à son retour. Il voulait s’entretenir avec Bourdeau pour lui confier diverses missions destinées à vérifier les constatations faites au cours de sa perquisition de la maison Galaine. Mais l’inspecteur était introuvable et le père Marie, ahuri, lui fit remarquer que c’était dimanche, jour de Pentecôte, et qu’en cette fête carillonnée Bourdeau se consacrait à sa nombreuse famille. Déçu, Nicolas reprenait le chemin de la rue Saint-Honoré quand il fut retenu par la manche de son habit par Tirepot.
    — Te sauve pas Nicolas ! Tu vas pouvoir rebaudir 74 , j’ai travaillé pour toi. Bourdeau m’avait décrit votre sauvage. Je le connais bien. Pas difficile à repérer avec son drôle d’accoutrement. Il avait coutume de musarder dans le quartier avec sa figure ombreuse.
    — Avant le jour de la fête place Louis XV ?
    — Bien avant ! Durant des mois. Un flandrin comme ça, tu parles qu’on le rate pas. Le soir de la catastrophe, je l’ai vu deux fois.
    — Deux fois ?
    — Comme je te le dis, et pas au même endroit.
    — Cela n’a rien d’extraordinaire.
    — Tu plaisantes ! Si je te vois au bord de la Seine, immobile près du parapet, et que je te croise vers la ville et qu’à cent toises, je te voie marcher sur moi, je suis autorisé à penser que tu es un fantôme qui joue à cligne-musette 75 ou que vous êtes deux. Si tu trouves ça normal, je m’incline bien bas devant ta judicière.
    Il s’inclina et les deux seaux qu’il portait suspendus en équilibre sonnèrent sur le pavé.
    — Bon, soit. Il était seul ?
    — Non, la première fois avec une fille en guenille, et la deuxième avec une fille en jaune. Et c’est pas tout. Le même soir, des habits bleus — des gardes françaises, quoi — qui fréquentaient mes seaux pour avoir trop fessé la bouteille, devisaient gaiement. Ils décrivaient le sauvage et son chapeau, entraînant une égueulée en robe jaune pâle dans une grange à foin près des jardins des religieuses de la Conception. Pour sûr, disaient-ils en riant, il avait basculé la poulette dans la paille et devait prendre du bon temps.
    — Une égueulée ? Qu’est-ce à dire ?
    — Paraît qu’elle se débattait et qu’elle ne se lassait pas de hurler des injures.
    Nicolas réfléchissait, les idées se bousculaient dans sa tête. Il tenait là un premier fil d’Ariane qui lui permettrait, peut-être, de sortir du lacis des présomptions pour trouver des preuves. Les remarques et le dessin de Geneviève, dépourvus de sens au premier abord, prenaient soudain un autre poids, une signification particulière. Il fallait serrer la vérité, la circonscrire, la réduire à des faits précis inscrits dans l’écoulement du temps puis, recouper, comparer et finalement découvrir.
    — Jean, reprit Nicolas, à quelle heure la première apparition ?
    — Je suis pas trop sûr, mais, en tout cas, avant le feu d’artifice, et comme je sens que tu vas me demander la deuxième, je dirais quelques instants après.
    — Es-tu certain que ce n’était pas la même personne ?
    — Non, non ! Le premier sauvage était plus petit que le second.
    — Bon, je résume. Tu as vu

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