Le Fardeau de Lucifer
donner une claque amicale sur l’épaule.
— Tudieu, tu as affronté des Sarrasins, toi. Tu bouges comme un épervier, dis-je avec admiration.
— Et toi comme un ours. Tu es aussi pénible à endurer que ce gros-là, dit-il en désignant Ugolin.
Le colosse de Minerve semblait avoir trouvé chaussure à son pied. Pestant comme un démon devant l’hostie, il tentait sans succès de percer la défensive d’Eudes avec des coups d’épée qui en auraient projeté plus d’un sur son séant. Le templier n’avait pas davantage de succès, Ugolin résistant à toutes ses charges avec cette agilité si étonnante pour un homme de son gabarit. Les deux finirent par se regarder avec un respect mutuel et déclarèrent le combat nul.
Un peu plus loin, Montbard et Raynal étaient engagés dans un choc de titans. Les deux étaient aussi compétents qu’orgueilleux. Ni l’un ni l’autre n’était homme à faire des compromis quand il était question de combat. Les épées se fracassaient violemment l’une contre l’autre. J’étais témoin d’un combat entre templiers, les guerriers les plus terrifiants de la chrétienté. Fasciné, j’observai attentivement, conscient que je ne pouvais qu’apprendre quelque chose.
Les mouvements des deux adversaires se faisaient plus lents, mais aucun n’acceptait de baisser les bras. Soudain, Montbard pivota sur lui-même en déployant le tranchant de sa lame. Il utilisait cette feinte qu’il m’avait si souvent servie. Le coup vint si vite vers la tempe gauche de Raynal que je craignis qu’il soit raccourci sur-le-champ. À mon étonnement, il leva son épée au dernier moment et para avant de contre-attaquer d’une furieuse série de passes que mon maître eut tout le mal du monde à repousser. Raynal abattit son poing dans le ventre de mon maître, qui grimaça de douleur et fut contraint de reculer de quelques pas. Dans le regard de Montbard, je reconnus cette colère qui décuplait ses forces. Il se relança à l’attaque et son épée se mit à virevolter à une telle vitesse que Raynal fut débordé. D’un geste désespéré, il écarta l’arme de Montbard avec la sienne et la pointe atteignit accidentellement le genou gauche de mon maître. Je sus alors que le temps était venu d’interrompre la séance avant qu’ils ne s’entretuent.
— Suffit ! s’écria sire Ravier, qui en était arrivé à la même conclusion que moi.
Pendant un instant, les deux adversaires se dévisagèrent, les lèvres retroussées, le feu dans les yeux. Puis la luxure du combat les quitta. Ils abaissèrent leurs armes et éclatèrent d’un grand rire.
— J’aurais fini par venir à bout de toi, nourrisson, tonna Montbard.
— Ha ! Tu étais sur le point de t’effondrer d’épuisement, vieillard !
— Tu crois ? Recommençons et je botterai la peau encore rose de ton gros cul !
— Venez, interrompit le Magister en ricanant. Allons boire un coup et nous calmer les sangs. Et il est plus que temps que nous nous connaissions un peu mieux.
Nous nous dirigeâmes tous vers une habitation qui tenait lieu d’auberge, non loin de celle où se trouvait ma chambre. Je notai que mon maître, qui tenait la main sur son ventre meurtri, boitait un peu.
— Votre genou, dis-je en avisant la tache de sang qui maculait ses braies. Vous devriez le montrer à Pernelle.
— Bah ! Ce n’est qu’une égratignure. En Terre sainte, si j’avais couru me faire dorloter chaque fois que je saignais un peu.
En chemin, j’observai les alentours et me fis la remarque que les places fortes cathares différaient grandement des camps croisés. À Montségur, point de prostituées et de sodomites, de mendiants ou d’ivrognes. Point de rixes ni de violence, non plus. L’ordre régnait partout. Hommes, femmes et enfants vaquaient à leurs tâches avec sérénité. Je n’étais pas assez naïf pour croire que tous étaient satisfaits de leur sort, ou même qu’ils croyaient réellement avoir des chances de sortir vainqueurs de l’affrontement avec les croisés, mais j’admirais la force tranquille que leur procurait leur foi. La conviction d’être dans leur bon droit y était sans doute pour beaucoup et je leur enviais cette certitude. Je savais qu’ils avaient raison. La Vérité leur appartenait et, un jour, si Dieu le voulait, elle éclaterait à la face du monde et les cathares seraient vengés. Ils cesseraient d’être des
Weitere Kostenlose Bücher