Le Fardeau de Lucifer
le dos. Elle haussa les sourcils de surprise en voyant son ventre ballonné. Elle fouilla dans son coffre, y trouva une chandelle et me la lança.
— Allume ça, ordonna-t-elle.
J’avisai l’âtre froid de la chambrette et hésitai. Où trouver une braise ? Une grosse main m’arracha la chandelle.
— Donne, fit Ugolin.
Le géant, remis de son évanouissement, désirait manifestement se racheter en se rendant utile. Il fouilla dans sa poche et en sortit deux pierres à feu, puis déchira la paillasse afin de prendre quelques brindilles sèches. Les étincelles produites par ses pierres eurent tôt fait d’allumer la paille et il mit la mèche dans les flammes.
— Ta dague, dit sèchement Pernelle sans cesser de tâter l’abdomen de Montbard. Elle est bien effilée ?
— Bien sur. Pourquoi. ?
— Passe-la dans la flamme et donne-la-moi. Fais vite, pour l’amour de Dieu.
J’obtempérai et lui tendis l’arme, qu’elle prit par le manche.
— Des linges. Il y en a dans mon coffre.
Je fouillai et les trouvai.
— Ugolin, dit Pernelle, si tu ne veux pas tomber à nouveau dans les pommes, tu ferais mieux de sortir.
Comprenant ce qu’elle entendait faire, le géant, embarrassé, sortit à reculons.
— Va quérir sire Ravier et explique-lui ce qui se passe, ordonnai-je.
— B. bien.
J’entendis Ugolin s’éloigner au pas de course.
— Prépare-toi à éponger, maugréa Pernelle. Il va pisser le sang comme une fontaine.
— Qu’a-t-il ? m’enquis-je.
— Tais-toi et éponge.
Elle appliqua la lame sur la peau et, d’un petit coup sec, y enfonça la pointe. Aussitôt, un jet de sang s’en échappa, lui éclaboussant le visage et mouillant sa robe noire. Indifférente, elle posa la dague sur la paillasse, appliqua les mains de chaque côté de la plaie et pressa, provoquant un nouveau jet et un grognement de douleur de son patient.
— Assèche, par Dieu, dit-elle. Je ne vois plus ce que je fais.
Je m’exécutai en essayant de contrôler le léger tremblement
qui avait saisi mes mains, et les chiffons s’imbibèrent de sang. Je les jetai sur le sol, en pris d’autres dans la trousse et recommençai plusieurs fois.
— Mais qu’est-ce qu’il a ? bredouillai-je.
— A-t-il reçu un coup au ventre récemment ?
Je réfléchis un peu, repassant dans ma tête les événements récents. Je me rappelai soudain le coup de poing que Raynal lui avait administré la semaine précédente, pendant l’entraînement. Je revis la grimace de douleur qui avait traversé son visage. Je sentis une main glacée m’envelopper le cœur et le serrer.
— Oui, voilà un peu plus d’une semaine, à l’entraînement. Un coup de poing de Raynal. Juste là où tu lui as recousu les tripes. Il a semblé avoir mal, mais.
— La blessure s’est rouverte. Il saigne de l’intérieur. Le vieux bougre est bien trop orgueilleux pour se plaindre. Il a enduré jusqu’à ce que sa panse soit remplie. Et maintenant, regarde-moi ce gâchis.
Elle continua à presser autour de l’ouverture qu’elle avait pratiquée jusqu’à ce que le flot de sang se réduise à un entrefilet.
— Bon. Il est vidé. C’est déjà ça.
— C’est. c’est grave ?
— Oui, il risque de mourir au bout de son sang. Approche la chandelle.
Elle ramassa la dague et, d’une main sûre, agrandit la plaie. Puis elle se mit à y fouiller comme la fois précédente et en sortit un boyau ensanglanté qu’elle examina d’un œil critique. Puis elle grimaça.
— Il a la tripe en charpie. Elle s’est déchirée de chaque côté de l’endroit où je l’ai cousue.
— Recouds-la encore, suggérai-je.
— Je dois tout d’abord couper ce qui est endommagé et ensuite rabouter.
— Ça se fait ?
— Nous le saurons bientôt.
L’intervention fut longue. Dans la petite chambrette, la tension était extrême. Sire Ravier, qu’Ugolin avait ramené entretemps, y assista et, comme moi, aida Pernelle de son mieux, versant à sa demande de l’eau-de-vie dans la plaie pour la laver et lui passant ce qu’elle requérait pendant que j’épongeais le sang qui coulait sans cesse. Ponctuellement, nous abreuvions Montbard copieusement d’alcool pour qu’il demeure inconscient.
Lorsque tout fut terminé, un morceau de tripe long comme mon pied gisait sur le sol. Pernelle avait réussi à
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