Le faucon du siam
otages dans le Sud. Quand sa vie et
celle de ses amis étaient suspendues à un fil, un homme devait être prêt à
fournir les plus grands efforts.
« Monsieur Forcone, il est clair à mes yeux que votre
récit comporte une trame bien mince — avec évidemment un ou deux moments de
sincérité. Mais, heureusement pour vous, nous, au Siam, ne croyons pas qu'il
faille punir les gens sans preuve absolue. Je m'en vais donc vous donner une
chance de vous racheter en travaillant dur et en faisant preuve d'une loyauté
sans défaillance. »
Il marqua un temps. La silhouette devant lui ne broncha
pas.
« On va vous mettre au travail au ministère du Commerce.
On vous assurera le gîte et le couvert. Rien de plus. Votre mission sera
strictement confidentielle et c'est à moi seul que vous devrez faire votre
rapport. Si vous révélez à quelqu'un la nature de votre travail, vous serez
exécuté sur-le-champ. Vos collègues resteront en otages dans le Sud jusqu'au
moment où je serai satisfait aussi bien des résultats que vous aurez obtenus
que de la véritable nature de vos intentions à l'égard de ce pays. Nous
garderons le secret sur le fait qu'on vous ait décerné l'ordre de l'Éléphant
blanc de troisième classe. Vous pourrez rentrer chez vous le soir. Mais, chaque
matin, à la première heure, vous ferez votre rapport soit à moi, soit à mes
assistants au ministère. »
Phaulkon garda le silence. La pièce continuait à
tournoyer autour de lui et il se sentait terriblement faible. Il avait entendu
les paroles du Barcalon et les comprenait : il se sentait pourtant trop
abasourdi pour réagir aussitôt. Il demeura immobile, en se forçant à retrouver
son équilibre. Lentement, à mesure qu'il percevait ce qui venait de se passer,
le sang revenait à son visage et, même si elle résonnait comme un écho
lointain, sa voix réussit à se faire entendre au prix d'un ultime effort.
« La confiance que me témoigne Votre Excellence sera
récompensée au-delà de tous ses espoirs. » Le
Barcalon inclina légèrement la tête. Le cœur fébrile,
Phaulkon rampa lentement à reculons : même si son esprit était en éveil, il
craignait de voir son corps lui faire défaut avant d'être arrivé à la porte.
19
Sunida suivait les interminables couloirs, le cœur
battant à tout rompre. Au bout d'un mois passé au Grand Palais, les murs
lambrissés, les magnifiques porcelaines et les légions d'esclaves
l'impressionnaient toujours. Bien que personne ne lui imposât le silence, elle
conservait une grande prudence, avec l'impression d'être encore une intruse,
une visiteuse qui n'avait pas sa place en ces lieux. Elle se maintenait
inclinée car elle avait conscience de sa taille et savait que, d'après les
usages du palais, nul ne pouvait se tenir debout à l'intérieur des murs sauf
pour se déplacer, et cela même quand le Seigneur de la Vie n'y résidait pas.
Malgré la grande bonté de son professeur et des deux
esclaves qu'on lui avait attribuées, la danse lui manquait terriblement, tout
comme la liberté de se conduire normalement, sans toutes les contraintes et les
restrictions de la vie au palais. L'attrait de sa nouvelle situation commençait
à s'effacer car, au fond, elle était une fille de la campagne, un esprit libre
à qui on avait coupé les ailes. Mais elle volerait de nouveau, décida-t-elle
et, à ce moment-là, elle rechercherait l'homme qu'elle aimait et qui lui
manquait tant. Loin d'être banni de ses pensées, il se tenait chaque jour auprès
d'elle, durant toutes les leçons d'amour et de maintien, sous l'apparence de
Thepine. Si elle était devenue une courtisane aussi accomplie que l'affirmait
sa maîtresse, c'était en grande partie grâce à lui. Car c'était l'image de son
farang qui l'avait guidée et avait renforcé sa détermination à réussir. Un
jour, si elle parvenait à le retrouver, ce serait lui qui bénéficierait de son
expérience toute neuve. Elle sourit. Et, dès l'instant où elle se serait de
nouveau allongée à son côté, jamais plus il ne consentirait à la laisser
partir.
Son cœur se mit à battre plus fort tandis qu'elle suivait
les instructions de Thepine et tournait à gauche dans une aile du palais.
Jamais encore elle n'était parvenue jusqu'ici et cette mission l'emplissait de
frayeur. Elle y avait pensé sans cesse, tout un jour et toute une nuit, depuis
qu'on lui en avait parlé. Maintenant, le moment était venu. Si ce n'avait pas
été un ordre du Seigneur de
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