Le faucon du siam
la Vie lui-même, elle aurait été tentée de
désobéir, mais son premier devoir était envers Sa Majesté. Au cours des
derniers jours, elle s'était renseignée aussi discrètement que possible et, à
chaque fois, les réponses n'avaient fait que confirmer ses appréhensions.
Personne n'avait eu un mot aimable à propos de cet homme. Alors pourquoi
était-ce justement à lui qu'on l'offrait? N'y avait-il pas quelqu'un d'autre
qui puisse mettre ses talents à l'épreuve? Au début elle avait supplié Thepine
de lui épargner cette épreuve, mais sa maîtresse avait été inflexible. Elle
n'était autorisée à résister que si l'homme devenait brutal.
« Petite souris, le Seigneur de la Vie, qui t'a manifesté
un intérêt si particulier, a conçu cela comme ta dernière épreuve. Si tu la
réussis, tu seras prête pour ta véritable mission. »
En vérité — sans s'en ouvrir toutefois à Sunida —,
Thepine redoutait tout autant cette expérience, même si elle ne pouvait
l'admettre ouvertement. Cela n'aurait fait qu'effrayer davantage Sunida. Mais,
lorsqu'il s'agissait de Sorasak, Thepine le savait, le jugement généralement
impartial du Seigneur de la Vie semblait faussé. Sa Majesté était si équitable
et si lucide à tous autres égards que l'on ne pouvait expliquer son attitude
envers Sorasak que par le remords qu'elle éprouvait à ne pas le reconnaître officiellement.
Après tout, c'était sa chair et son sang, son seul fils. Thepine en était
certaine : Sorasak était devenu, du moins en partie, le sadique et la brute
qu'il était par frustration de ne pas être accepté. Car personne n'était par
nature foncièrement mauvais. Thepine n'avait aucune raison sentimentale, aucun
lien familial qui lui permît de justifier le comportement de Sorasak — qui, de
plus, n'était pas vraiment son neveu. Mais, bien qu'elle n'eût jamais discuté
ouvertement de cette question avec lui, elle était convaincue qu'il connaissait
la vérité sur ses origines. Comment aurait-il pu en être autrement? C'était le
secret de polichinelle du palais. Sorasak profitait pleinement de l'indulgence
de Sa Majesté à son égard pour terroriser le harem : il attirait dans son
repaire celles qui ne se méfiaient pas, il enlevait celles qui repoussaient ses
avances et les contraignait à subir les plus redoutables épreuves. Les filles
qui étaient revenues en gémissant de l'aile tristement célèbre du palais où se
trouvaient ses quartiers répugnaient en général à parler de ce qu'elles avaient
subi : les plaies et les cicatrices en étaient pourtant une preuve suffisante.
Sa Majesté se déclarait régulièrement furieuse du comportement du jeune homme,
mais le roi ne l'avait puni qu'une seule fois en lui faisant bastonner les
épaules avec une canne de jonc. Dans l'intimité de ses appartements, Sorasak
s'adonnait impunément à ses perversions — des perversions qui auraient provoqué
l'exécution de tout autre courtisan.
Thepine elle-même n'avait jamais partagé la couche de
Sorasak : non parce qu'elle était officiellement sa tante — cela ne l'aurait
certainement pas arrêté —, mais parce qu'il était bien trop malin pour s'en
prendre aux favorites du roi. Il les évitait avec soin, ne jetant son dévolu
que sur celles dont Sa Majesté connaissait à peine l'existence. L'affront
infligé à ces victimes anonymes semblait moins concerner le roi. Un jour,
Thepine, scandalisée à la vue d'une fille rentrée au harem avec des vêtements
en lambeaux et la peau lacérée, avait porté l'affaire devant le roi. Sa Majesté
avait demandé : « Quel était son nom, disais-tu ? Est-elle au palais depuis
longtemps ? »
Thepine maudit la malchance qui avait attiré sur Sunida
l'attention de Sorasak. Cette intrigante de Kai, dans l'espoir de détourner les
intentions de Sorasak à son égard, s'était empressée de satisfaire sa récente
demande d'accroître les effectifs du harem du palais. Elle avait évoqué
l'arrivée d'une fille du Sud que l'on gardait pratiquement cachée et qui,
disait-on, était formée par Thepine en personne pour le plaisir de Sa Majesté.
Cela avait piqué la curiosité de Sorasak qui avait chargé son page de
surveiller les mouvements de Sunida. Ayant appris que chaque jour à une
certaine heure elle allait se promener dans les jardins avec sa tante Thepine,
il s'était caché toute la nuit dans un arbre dominant cette partie du parc et
avait attendu sa venue. Il l'avait à peine aperçue,
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