Le faucon du siam
mais suffisamment pour se
convaincre qu'il devait la posséder. Ce fut bientôt pour lui une obsession et,
excité par un tel défi, il avait renoncé à sa tactique habituelle et s'en était
allé trouver directement le roi, harcelant Sa Majesté pour qu'on lui permît de
la prendre dans sa couche une seule nuit. D'abord inflexible, le souverain
avait fini par céder quand Sorasak lui avait rappelé son prochain anniversaire
et lui avait fait remarquer que, ce jour-là, Sa Majesté lui accordait toujours
une faveur spéciale. L'anniversaire de Sorasak, pénible rappel de la naissance
de son fils unique, était pour Sa Majesté un jour particulièrement sensible. Le
Seigneur de la Vie avait donné son accord en prévenant seulement Sorasak qu'il
ne devait faire aucun mal à la fille.
Thepine n'ignorait pas tout cela car c'était elle qui
avait plaidé la cause de Sunida devant le roi. Elle savait que Sa Majesté
évitait Sorasak tout autant à cause de son caractère pervers, qui s'était
manifesté dès son jeune âge, qu'en raison de la basse extraction de sa mère.
Elle avait conscience des hésitations de Sa Majesté à propos de Sunida et
sentait qu'elle l'aurait emporté si Sorasak n'avait pas invoqué ainsi
habilement l'argument de son anniversaire. Sa Majesté, ne souhaitant pas
révéler la véritable raison pour laquelle elle avait cédé, avait dit à Thepine que
le rendez-vous de Sunida avec Sorasak serait l'ultime épreuve qui montrerait si
elle était prête à accomplir sa mission : si elle pouvait plaire à Sorasak, si
elle était prête pour n'importe qui. Il avait en outre assuré à Thepine que
Sorasak avait reçu la très stricte consigne de ne lui faire aucun mal.
Mais Thepine savait ce que Sorasak avait été capable de
commettre impunément par le passé : elle était donc bien loin de se sentir
rassurée. Elle avait tenté de minimiser le danger devant Sunida, tout en
s'efforçant de la mettre sur ses gardes.
« Tu n'auras pas à passer plus d'une nuit avec cet homme
et tout ce que tu devras faire, c'est de réussir à lui plaire. Souviens-toi de
ce que je t'ai dit : ne lui résiste pas. C'est seulement quand on le contrarie
qu'il peut devenir méchant. Utilise simplement les talents que je t'ai
enseignés, et il sera comme un bébé dans tes bras. Je sais que tu ne vas pas
décevoir ton professeur, petite souris. »
Malgré les encouragements de Thepine, Sunida était
terrifiée. Après tout, l'homme était le neveu de sa maîtresse et celle-ci
nourrissait peut-être des préjugés en sa faveur. Au palais la réputation du
prince était telle que même les deux esclaves que l'on avait affectées au
service de Sunida redoutaient de devoir un jour être admises dans son harem. On
racontait qu'il pratiquait la sodomie, et sa cruauté sadique, disait-on,
marquait ses victimes pour la vie.
Tout l'enthousiasme qu'avait jadis éprouvé Sunida à
mettre en pratique son apprentissage — les séances d'essais avec les esclaves
femmes, les massages sensuels, les préparations culinaires, les arrangements
floraux —, tout cela s'évanouissait maintenant et elle ne pensait plus qu'aux
épreuves que son esprit et son corps risquaient de subir entre les mains de
cette brute.
On le disait fort comme un bœuf, le corps affûté par de
constants exercices physiques, et surtout la boxe. Elle avait même entendu dire
qu'il disparaissait parfois en pleine campagne pendant des semaines d'affilée,
afin de suivre les tournois et de sauter incognito dans l'arène pour défier un
vainqueur. Allait-il la rouer de coups comme un adversaire à la boxe, ou lui
laisser des cicatrices indélébiles ? Une nouvelle fois, la vision de son
merveilleux farang de Ligor se dressa devant elle. Si seulement c'était lui
qu'elle allait rejoindre maintenant! Avec quelle joie elle s'abandonnerait dans
ses bras, avec quelle ardeur elle mettrait en pratique ses talents récemment
acquis! Où pourrait-elle le retrouver? se demandait-elle avec tristesse.
En entrant dans l'aire du palais occupée par Sorasak,
elle rencontra plusieurs jeunes esclaves qui la dévisagèrent avec curiosité.
Compatissaient-elles déjà à son sort?
Le cœur tremblant, elle s'arrêta devant la porte marquée
de l'insigne noir d'un taureau et frappa timidement.
Sorasak dut faire un effort pour se contrôler. Comment
son père pouvait-il rester aussi calme? Le boxeur au cou de taureau observait
le général, les yeux plissés.
Ils étaient dans les
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