Le faucon du siam
sous l'effet de leur puissance.
Le Barcalon crut voir le corps prostré de Phaulkon secoué
d'un spasme. L'homme finissait-il par craquer? Il regarda encore. Non, pas un
geste. C'était peut-être son imagination. Il en faudrait assurément beaucoup
pour briser le moral de cet homme-là, se dit le Barcalon. Bien sûr, il pouvait
l'écraser maintenant, s'il en avait envie. Il n'aurait qu'à lire à Phaulkon
quelques lignes de son propre rapport sur les découvertes qu'il avait faites
dans la province de Ligor. Et quel brillant rapport, d'ailleurs! Il doutait
qu'il y eût plus d'une poignée de ses meilleurs agents capables de rédiger un
tel rapport. Un espion royal ! L'audace de cette idée n'avait de pair que le
brio avec lequel elle avait été conçue. Non, décida le Barcalon, il n'allait
pas détruire ce farang. Il fallait dompter ce capital d'intelligence et d'énergie
pour les mettre au service du Siam. Il n'allait pas citer au farang le rapport
écrit de sa propre main car révéler qu'il était au courant de la supercherie
l'obligerait à faire exécuter l'homme. Le Barcalon frémit. Même Sa Majesté ne
devrait jamais découvrir qu'un vulgaire farang avait osé prétendre avoir reçu
mandat des lèvres royales.
Les contradictions ne manquaient pas dans le récit du
farang, mais rien d'assez grave pour le contraindre à condamner à mort cet
homme. Il éprouvait un certain soulagement à constater que le farang ne s'était
pas totalement chargé lui-même durant l'entretien : le doute n'était pas
permis, ses services pouvaient être précieux pour le Siam.
Une fois de plus, l'esprit du Barcalon revint au dossier.
On y décrivait le mode de vie de Phaulkon comme profondément siamois, et tous
les Siamois qui le connaissaient en avaient témoigné. Quel farang avait jamais
fait un séjour dans un monastère et acheté à vie trois concubines? Celui-ci
était assurément différent des autres. L'ensemble des témoignages décrivaient
un homme sincèrement épris du Siam et de son peuple.
De toute évidence, le gouverneur de Nakhon le tenait en
haute estime. Certes, le gouverneur n'avait pas la même expérience que lui des
farangs, mais c'était néanmoins un bon juge des caractères. Il avait reconnu au
farang des qualités de courage, de charme et d'esprit d'initiative. De cran
aussi, songea le Barcalon, se rappelant la description du combat de boxe faite
par le gouverneur. Cet homme sage avait eu la prévoyance d'envoyer sa nièce à
Ayuthia avec la dernière dépêche. Le farang était apparemment fort épris d'elle
et le gouverneur avait pensé qu'elle serait la personne idéale pour infiltrer
la maison du farang si Ayuthia voulait obtenir un témoignage de première main sur
les faits et gestes de son occupant. Excellente idée, se dit le Barcalon. En ce
moment-même, la fille était au palais où on la formait comme espionne.
Et puis, l'homme était manifestement adaptable. Il était
né dans une nation et en servait une autre. Pourquoi ne s'adapterait-il pas une
nouvelle fois pour en servir une troisième? Cela traduisait peut-être un
certain manque de loyauté, mais en réalité il n'avait servi qu'un seul pays :
l'Angleterre. On ne pouvait pas dire qu'il s'était montré déloyal envers sa
première patrie. Car comment pourrait-on en vouloir à un gamin de neuf ans qui
désirait voir le monde? Quant à sa loyauté envers le Siam, eh bien, seul le
temps apporterait une réponse.
Ce qu'il avait dit des Maures était certainement vrai.
Bien sûr, ils volaient le Trésor. On les avait trop longtemps laissés n'en
faire qu'à leur tête. Voilà longtemps que le Barcalon voulait étudier ce
problème, mais il n'en n'avait jamais trouvé la disponibilité, ni personne pour
les remplacer. Cet homme, ce Forcone, avec ses connaissances en comptabilité,
serait-il capable aujourd'hui de révéler la vérité? Le Barcalon rit sous cape.
Peut-être allait-on pouvoir tout d'abord utiliser les farangs pour saper le
pouvoir des Maures. Grâce à d'habiles manœuvres qui leur feraient perdre leurs
positions acquises, peut-être parviendrait-il à détourner la colère des Maures
sur les farangs plutôt que sur lui-même. Cela en valait assurément la peine.
Une nouvelle fois, il tourna les yeux vers le farang
prosterné à ses pieds. Si jamais l'heure était venue d'utiliser les services de
cet homme, c'était maintenant. Le farang ne savait pas s'il allait vivre ou
mou-rir, ses collègues étaient retenus en
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