Le faucon du siam
debout et de déployer toute sa taille — pour éviter que l'on puisse la
comparer à celle du souverain.
Chao Fa Noi leva les yeux en chemin, vaguement distrait
par la démarche séduisante d'une concubine qui approchait. Ses hanches se
balançaient de façon attirante à chacun de ses pas, mettant en valeur une
silhouette parfaitement proportionnée. Elle s'inclina bien bas en passant puis
tourna la tête dans sa direction et lui adressa le sourire le plus voluptueux.
Un sourire accompagné d'un battement langoureux des paupières. Thepine ! Il
avait déjà vu la célèbre concubine dans les appartements de son frère. Que
préparait-elle ? Il songea un moment à cette rencontre, puis chassa cette idée.
Sa fiancée, Yotatep, lui répétait toujours combien il était beau : il n'y avait
donc rien d'extraordinaire à voir une femme du harem lui lancer ainsi une
œillade. Il rit sous cape. Si seulement Yotatep avait pu voir ce furtif
échange... Elle était si jalouse ! Elle lui avait confié un jour qu'elle était
torturée à l'idée qu'il ne l'épousait que parce qu'elle était la fille du roi.
Évidemment, il s'était empressé de l'assurer du contraire mais, à la moindre
provocation, ses doutes refaisaient surface et sa confiance en soi vacillait.
Il fallait sans cesse la tranquilliser. Si une femme allait jusqu'à porter les
yeux sur lui, Yotatep entrait en fureur, et si lui-même s'aventurait à lancer
un regard à l'une d'elles... Il espérait que Yotatep deviendrait raisonnable
une fois qu'ils seraient mariés : elle devrait bien s'habituer à ses secondes
épouses. Elle ne pouvait guère s'y opposer : cela ne s'était jamais vu. Il
devait pourtant s'avouer que les questions dont elle ne cessait de le harceler
à propos de son amour l'avaient contraint à s'interroger : l'aurait-il épousée
si elle n'avait pas été la fille du roi? La vérité, il devait l'admettre, était
qu'il ne l'aurait pas épousée.
Une journée torride sous un soleil brûlant suivit sa
rencontre avec Thepine. Mais, malgré l'atmosphère débilitante, le prince était
d'excellente humeur. Il venait de quitter les appartements de la reine
princesse où Yotatep, tout excitée, lui avait confié que les astrologues
brahmanes attachés à la Cour avaient fini par trouver une date favorable pour
le mariage. Ce devait être dans un peu plus d'un mois. Il déambulait dans les
vastes jardins magnifiquement soignés qui entouraient les appartements de la
reine princesse, en rêvant de son futur couronnement. Quel plaisir d'errer dans
ces jardins bien dessinés, en cheminant devant les bassins de lotus, les
fontaines jaillissantes, ou en suivant les petites allées bordées d'arbres et
entrecoupées de ruisseaux qui murmuraient doucement, apportant à ce décor une
fraîcheur délicieuse !
De l'autre côté du jardin se trouvaient les écuries
royales où le grand éléphant blanc venu du Sud s'était octroyé une place de
choix. Joyau de l'Univers — c'était le nom qu'en grande cérémonie on avait
officiellement donné à l'animal — avait été installé dans une luxueuse écurie,
la plus proche des appartements royaux. La proximité du roi et les soixante
esclaves affectés à son service étaient autant de marques de distinction qui le
plaçaient bien au-dessus des autres membres de son espèce.
Des centaines de courtisans, de pages, d'eunuques et
d'esclaves avaient déjà visité les écuries pour rendre hommage à la bête
princière, et d'autres encore le faisaient maintenant, y compris Thepine. Elle
venait de présenter ses respects à l'éléphant au moment précis où le jeune
prince passait dans les jardins. Elle le dévisagea de façon si évidente que
l'on ne pouvait cette fois se méprendre sur ses intentions. Elle était tout à
fait ravissante. Elle avait les cheveux bien huilés et avait souligné le
contour de ses lèvres charnues avec de la pommade blanche. En croisant le
prince, elle laissa comme par hasard s'écarter son écharpe beige, révélant l'un
de ses seins. Un sein ferme, pointé vers le haut et bien attirant. Avant
d'avoir pu s'en empêcher, Chao Fa Noi lui avait rendu son sourire. Il vit une
lueur de triomphe s'allumer dans ses yeux, puis elle disparut.
Cette nuit-là, allongé sur sa couche, ce sourire, ce voluptueux
sourire qui promettait tant d'infinis plaisirs, revint le hanter. Plus il
s'efforçait d'en chasser le souvenir, plus il revenait l'obséder. Elle savait
évidemment qu'il devait
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