Le faucon du siam
l'argent.
— Et j'ai découvert ce que vous vouliez savoir,
Luang Aziz.
— Vraiment ? Je suis ravi de l'apprendre. Êtes-vous
sûr de vos renseignements ?
— Tout à fait sûr. »
Aziz s'assit en tailleur, sur l'herbe, devant le prêtre.
« Alors, quelle est la réponse ? »
Le prêtre regarda la mer et désigna le grand navire. Le
trois-mâts se dressait gracieusement sur le calme de l'océan : on aurait dit
une créature marine mythique jaillie des profondeurs.
« Il se rend à Madras.
— Oh? Et comment êtes-vous parvenu à cette
conclusion ? »
Le prêtre ne pouvait dire s'il y avait de la déception ou
du soulagement dans la voix du Maure. « Je suis monté à bord de bonne heure ce
matin. Je m'y suis rendu moi-même à la rame. » Aziz eut l'air impressionné. «
J'ai remis un paquet pour ma sœur à Madras et l'un des officiers a promis de le
lui livrer. Puis j'ai célébré la messe pour les catholiques du bord. Ils
étaient cinq : Écossais, Irlandais, et de Goa. Tous m'ont confirmé leur
destination. Aussi bien en anglais qu'en portugais. Ce sont des gens simples
qui n'iraient pas mentir à un prêtre. Et pendant tout ce temps ils étaient
seuls avec moi dans la pièce. »
Le prêtre termina et il y eut un long silence. Aziz
reprit enfin la parole.
« Vous avez bien fait, dom Francisco. L'Oc-Ya Tan-naw
sera content. Vous comprenez, nous devons protéger nos intérêts commerciaux. La
plupart des régions de l'autre côté du golfe relèvent de notre monopole. Madras
n'en fait pas partie. Voici votre argent. » Il lui tendit le sac. « Je ne vais
pas m'attar-der, car il faut que j'apporte la nouvelle à notre chef. Nous
ferons peut-être une autre fois appel à vos services, père Francisco. » Il
sourit. « Votre petite église, à n'en pas douter, aura toujours besoin de
réparations. »
Le prêtre essaya de masquer son excitation. « Sans doute,
Luang Aziz. Vous savez où me trouver. »
Le Maure tourna les talons pour prendre congé. À cet
instant, la silhouette d'une femme de haute taille apparut, montant le petit
chemin en lacets qui menait à l'église.
«Une de vos converties, dom Francisco?» demanda le Maure
en souriant.
Le padre cligna des yeux pour mieux voir. « Je ne pense
pas, Luang Aziz. »
À longues enjambées, la nouvelle venue eut tôt fait de
parcourir la distance : bientôt elle fut près d'eux.
« Bonjour, mes Pères, dit-elle en siamois en leur
adressant un sourire gracieux. Lequel d'entre vous est le père Francisco ? »
C'était une belle jeune femme au sourire avenant.
« C'est moi, mon enfant, répondit doucement dom
Francisco. Et en quoi puis-je t'être utile ? »
La jeune femme l'observa brièvement puis tira une lettre
d'une petite bourse en coton qu'elle portait. « M. Constantin Phaulkon m'a
demandé de vous remettre ceci, mon Père. C'était un ami du capitaine Alvarez. »
Le second prêtre dressa l'oreille. « Bien sûr, dit dom Francisco. J'ai entendu
parler de M. Phaulkon. Sois la bienvenue, mon enfant. Pauvre Alvarez,
ajouta-t-il en se signant. Puisse son âme reposer en paix. »
Il lut la lettre puis regarda la femme en souriant.
« Je suis ici pour t'assister de toutes les façons,
dit-il.
— Merci, mon Père. Il faut que je parle au capitaine
de ce navire là-bas, dit-elle en désignant le grand vaisseau marchand. J'ai
pensé que vous le connaissiez peut-être ou que du moins vous pourriez m'aider à
le joindre. »
Luang Aziz n'avait cessé de l'observer attentivement. Ce
fut lui qui prit alors la parole. « Et que pourrais-tu bien vouloir au
capitaine, mon enfant?
— J'ai un message pour lui, mon Père.
— Je connais le capitaine », dit Luang Aziz en
lançant un bref coup d'œil de mise en garde à dom Francisco. « Je pourrais
peut-être lui transmettre ce message?
— C'est très aimable à vous, mon Père. Mais je dois
le remettre moi-même. Voyez-vous, c'est un message qui exige une réponse.
— Fort bien, dit Luang Aziz. Dans ce cas,
permets-moi de t'accompagner là-bas. » Il la regarda avec sollicitude. « Mais
tu dois être épuisée, mon enfant. Tu as sans doute fait tout ce chemin depuis
la capitale. »
Sunida acquiesça. « En effet, mon Père. J'ai hâte de
terminer ma mission et de m'en retourner.
— Bien sûr. Ce doit être important pour que tu sois
venue de si loin. Une lettre, sans doute », ajouta-t-il nonchalamment.
Pendant tout cet échange, dom Francisco avait voulu
intervenir mais, à chaque fois
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