Le faucon du siam
des instants passés avec elle.
Maintes et maintes fois il se tourna vers la porte, tendant l'oreille et
espérant entendre une nouvelle fois les grattements. Mais il n'y avait que le
silence de la nuit. Ce n'est que peu avant l'aube que le sommeil vint enfin
l'apaiser.
Thepine était d'humeur joyeuse. Elle avait de nouveau un
amant, même si c'était un secret dont la découverte signifierait pour elle une
mort immédiate. Après tout, elle était la concubine du roi et son amant n'était
autre que le promis de la jalouse Yotatep. Pourtant, elle se sentait revivre,
elle s'épanouissait grâce au danger et à l'excitation qu'elle avait toujours
recherchés. Qu'il était beau, son jeune prince, un enfant entre ses mains,
qu'elle pouvait façonner selon sa volonté. Depuis une semaine déjà, chaque nuit
elle se glissait dans ses appartements : elle se rendait compte que ce qui
avait peut-être commencé chez lui par une simple curiosité avait maintenant
pris les proportions d'une obsession dévorante. Il serait plus difficile de
continuer quand il serait marié à la reine princesse, songea-t-elle avec un
soupçon d'excitation : mais ils trouveraient bien un moyen. D'ailleurs, il
commençait déjà à prendre les initiatives. C'était lui maintenant qui s'était
chargé de s'assurer le silence des gardes en les achetant.
Elle traversa la dernière des trois vastes cours qui
menaient aux appartements royaux. C'était une soirée magnifiquement embaumée,
d'une fraîcheur insolite. De nombreux esclaves réprimandaient les éléphants
choisis pour monter la garde dans le défilé en l'honneur de l'ambassade de
Chine. Pour une aussi grande occasion, il y en aurait jusqu'à cent, les uns
portant un harnais d'or, les autres constellés de diamants, de perles, de rubis
et d emeraudes. Son amant aussi, se dit-elle, serait resplendissant ce jour-là
dans sa
tunique de brocart rouge avec ses boutons aux filigranes
d'or.
Les gardes la connaissaient tous de vue et personne ne
s'interrogea sur sa présence quand elle entra dans l'antichambre qui menait aux
appartements de Sa Majesté. Là, on dépouillait jusqu'à la taille tous les
visiteurs avant de les laisser entrer dans le domaine royal. Cette mesure de
sécurité permettait de s'assurer que personne n'introduisait d'arme dans les
appartements privés du roi. En approchant, elle reconnut la tunique de son
amant et son chapeau conique cerclé d'or posés sur une étagère d'osier. Il
avait dû rendre visite au Seigneur de la Vie. Elle eut un sourire espiègle et,
profitant d'un instant où les gardes tournaient la tête, elle s'empara de la
tunique et du chapeau et les fourra prestement sous les plis de son panung.
Elle s'éloigna à la hâte, se demandant combien de temps il faudrait au jeune
prince pour deviner qui lui avait joué ce tour. Elle s'imaginait qu'il la
soupçonnerait aussitôt et qu'il viendrait chercher ses vêtements dans ses
appartements. Elle l'attendrait...
Chao Fa Noi sortit des appartements royaux de méchante
humeur. On n'avait pas accédé à sa demande de s'asseoir à la place d'honneur
aux pieds et à la droite de Sa Majesté, durant la réception en hommage à la
délégation chinoise. Il devrait s'asseoir à gauche tandis que son frère, Apai
Tôt, en sa qualité d'aîné, occuperait la place privilégiée. « Même si Apai Tôt
est ivre ? » avait-il demandé furieux à Sa Majesté. Il ne serait pas ivre,
s'était-il entendu répondre, car ni avant ni durant les cérémonies on ne le
laisserait approcher de boissons alcoolisées : par précaution, il était en ce
moment confiné dans l'enceinte du palais.
Maîtrisant sa rage, le jeune prince sortit et chercha sa
tunique. Où l'avait-il donc laissée? Il fouilla de nouveau l'antichambre. Il
aurait juré l'avoir posée juste là, sur l'étagère. Peut-être quelqu'un
l'avait-il accrochée. « Garde ! » cria-t-il. Deux gardes du corps d'élite de Sa
Majesté, les cheveux coupés court et portant sur le bras le bandeau rouge
traditionnel, se précipitèrent dans l'antichambre et se prosternèrent.
« Votre Altesse Royale ?
— Où est ma tunique ? Et mon chapeau ? Je les ai
laissés ici il y a un moment. »
Les deux gardes échangèrent un regard intrigué.
« Altesse Royale, nous qui ne sommes que deux grains de
poussière, nous nous rappelons avoir vu Votre Altesse se dévêtir et les laisser
là.
— Parfaitement, juste ici, fit-il en désignant
l'étagère. Qui aurait osé les
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