Le faucon du siam
prendre? »
Dans sa fureur, le prince ne soupçonna pas un instant la
vérité. Sans plus réfléchir, il revint à grands pas dans l'appartement de Sa
Majesté : son frère n'allait pas tarder à apprendre, si ce n'était déjà fait,
qu'il y avait des voleurs dans son antichambre même ! Celui qui avait fait cela
serait exécuté, se jura-t-il, à titre d'exemple. C'était un scandale.
Accroupie devant le miroir, Thepine s'examinait avec
soin. Un sourire s'épanouissait sur son visage. Pas une ride dans le reflet.
C'était fort satisfaisant à trente-deux ans, songea-t-elle. Ce miroir-là ne
mentirait pas. C'était un cadeau de Sa Majesté le roi qui l'avait reçu en
présent des saints hommes portugais. Le capitaine Alvarez en avait un plus
petit, moins raffiné, dans sa maison. Elle se demanda vaguement s'il s'y
trouvait encore. Elle appliqua sur ses lèvres un peu de pommade blanche puis se
mit à la fenêtre. La lumière déclinait : ce serait bientôt le soir. Pourquoi le
jeune prince mettait-il si longtemps? Cela faisait des heures qu'elle avait
regagné ses appartements avec le chapeau et la tunique dont elle s'était
emparée. Ils étaient toujours étalés sur le lit, là où elle les avait jetés.
Comme elle avait hâte de voir l'expression de son visage quand il les
apercevrait en entrant dans la chambre ! Allait-il éclater de rire ou la
gronder avant de tomber dans les bras qui l'attendaient? Peut-être avait-il eu
des affaires urgentes à discuter avec Sa
Majesté, songea-t-elle. Avec l'arrivée imminente de
l'ambassade chinoise, le palais bourdonnait d'activités. L'Empire du Milieu
était le plus important royaume du monde, plus grand que le Siam, disaient
certains, même si c'était difficile à croire. En tout cas, le Seigneur de la
Vie n'épargnait assurément aucun effort pour bien accueillir ses visiteurs. On
lui avait dit que des plats farangs seraient ajoutés au menu sous la
surveillance de ce farang que Sunida avait été chargée d'espionner. Il
s'appelait Forcone ou quelque chose comme ça : quoi qu'il en soit, Sunida lui
avait confié en secret que son nom en langue farang signifiait oiseau de proie.
Elle sourit. Quelle ironie que l'oiseau de proie devienne lui-même la proie de
quelqu'un d'autre ! Une grande agitation dans le couloir vint interrompre ses
pensées. Elle appliqua précipitamment une dernière touche d'eau de santal à son
cou et ses seins puis se leva pour aller voir la cause de tout ce bruit.
Elle était au milieu de la pièce quand, sans cérémonie,
on ouvrit toute grande sa porte. Deux des gardes de Sa Majesté, des Bras
rouges, plantés sur le seuil, inspectaient la chambre. Derrière eux était tapie
l'une des esclaves de Thepine, les yeux agrandis de terreur.
« Les voilà ! » s'exclama le plus grand des deux gardes,
dont le regard était posé sur le lit. Son jeune compagnon le suivit des yeux et
sourit avec un soulagement évident. Peut-être le Seigneur de la Vie allait-il
maintenant se calmer. Quand sa divine rage se serait estompée, peut-être
seraient-ils tous les deux récompensés de leur trouvaille, même si c'était
l'une des esclaves qui les avait conduits jusqu'ici. Le jeune garde tremblait
au souvenir de la fureur de Sa Majesté. Comme sa voix avait tonné ! Il avait
dépêché sur-le-champ six de ses gardes en ordonnant que l'on retrouve le
coupable et qu'on le lui amène avant le coucher du soleil. Sinon, tous les gardes,
eunuques et pages du palais seraient punis. Comment oser voler les vêtements de
son frère devant ses propres appartements !
Après de vaines recherches, Sa Majesté avait ordonné que
l'on fouille aussi les appartements des femmes. Ce fut alors que la tremblante
petite esclave au service de dame Thepine s'était avancée et avait tout révélé.
On l'avait aussitôt emmenée pour l'interroger tandis qu'une autre fille les
avait dirigés jusqu'aux appartements de dame Thepine.
« Voudriez-vous venir par ici, ma Dame?
— Pourquoi? Que se passe-t-il? interrogea Thepine,
un horrible soupçon l'envahissant.
— Ordre du Seigneur de la Vie, ma Dame. »
Fièrement, elle obéit. Elle suivit les couloirs
jusqu'aux appartements royaux, la tête haute devant les
milliers de regards qui la fixaient : elle avait l'impression que le palais
tout entier était de service ce jour-là. Les couloirs grouillaient de gens qui
la dévoraient des yeux. Même les esclaves et les pages de moindre rang qui se
prosternaient sur son passage
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