Le faucon du siam
Devant
elle, le prêtre lui barrait le chemin du port. Il n'y avait personne alentour.
Si elle criait, peut-être le prêtre farang dans la chapelle là-haut pourrait-il
l'entendre, mais il était probablement son complice.
« Ma mission vient de très haut, dit-elle gravement, en
espérant l'impressionner, et je dois signaler toute tentative pour m'empêcher
de l'accomplir. » Elle sentait sa voix trembler.
Le regard du prêtre flambait de colère.
« Donne-moi cette lettre », dit-il en avançant sur elle
sans plus chercher à se montrer courtois.
Elle recula jusqu'au bord de la clairière. Il était
planté devant elle, l'air froid et résolu. Terrifiée, elle le vit lever un
bras. Allait-il la frapper? Lui, un prêtre!
« Très bien, dit-elle, en se protégeant le visage du
bras. Prenez donc la lettre. » Elle ouvrit sa petite bourse et en tira une
feuille de papier de riz toute froissée. Le prêtre la lui arracha des mains et
en parcourut le contenu. « Bon sang », l'entendit-elle jurer. Elle était écrite
en langue farang. Peut-être ne pouvait-il pas la lire, espérait-elle.
« Puis-je la reprendre maintenant? demanda Sunida.
— Non, je te l'ai déjà dit : je la porterai moi-même
jusqu'au navire. Tu ferais mieux de partir maintenant. J'ai des affaires à
régler. » Elle restait là, refusant de bouger. Il désigna le sentier qui
descendait jusqu'au port. « Va, t'ai-je dit. Retourne à Ayuthia. »
Elle leva de nouveau le bras, s'avança lentement, se
retournant de temps en temps vers lui. Elle allait s'engager sur le sentier
quand elle vit dans la direction opposée dom Francisco qui accourait vers elle.
Mais l'autre prêtre l'intercepta au passage et, le prenant brutalement par le
bras, le ramena de force vers la petite chapelle. Quelle étrange attitude, se
dit Sunida. Sans doute ce prêtre mal élevé avait-il besoin de dom Francisco pour
lui traduire la lettre.
Elle chassa l'épisode de son esprit tout en descendant le
chemin en lacets jusqu'au port. Maintenant, elle allait remettre la véritable
lettre. Si le capitaine était vraiment absent, elle la confierait à son second,
comme Phaulkon lui en avait donné l'ordre par le truchement de Sri.
Sunida était ravie de son numéro. Les divers rôles
qu'elle avait dû jouer dans sa carrière de danseuse s'étaient révélés d'une
aide précieuse. Elle savait simuler la peur. Combien de fois n'avait-elle pas
joué Sita poursuivie dans la forêt par le méchant roi? D'ailleurs, elle devait
en convenir, elle avait vraiment eu peur lorsque le prêtre avait levé la main
pour la frapper. Mais elle était particulièrement fière d'avoir eu toute seule
l'idée des deux lettres. Elle se rappelait comment, prosternée et tremblante
dans la salle d'audience royale, elle avait écouté le prêtre jésuite traduire
la lettre de Phaulkon en siamois pour le Seigneur de la Vie et pour Son
Excellence le Pra Klang. Elle avait senti son cœur battre plus fort à l'idée
que la lettre de son amant au capitaine anglais de Mergui contenait peut-être
des propositions compromettantes, préjudiciables au Siam. Mais la traduction
n'avait rien révélé de dommageable. À son grand soulagement, elle demandait
simplement au capitaine anglais de rester quelques jours de plus à Mergui, afin
que l'on puisse conclure les arrangements nécessaires
au voyage en Perse. C'était alors que la voix grave du
Seigneur de la Vie avait retenti des hauteurs, précisant qu'il faudrait
s'assurer que la lettre ne tombe pas entre de mauvaises mains. En implorant le
pardon du Seigneur pour son intrusion, elle avait timidement proposé d'emporter
avec elle une autre lettre comme leurre : elle pourrait la remettre en cas
d'urgence. Elle avait été surprise et ravie de voir le Seigneur de la Vie et le
Pra Klang approuver avec enthousiasme son idée : on l'avait congédiée pendant
que l'on rédigeait une seconde lettre. Lorsqu'on l'avait rappelée, l'interprète
jésuite avait terminé d'écrire la lettre en anglais.
Son Excellence le Pra Klang lui avait alors donné un
conseil : si, à un moment quelconque, elle était abordée par quelqu'un qui
tenterait de lui arracher la lettre, elle devait lui remettre la seconde — et
seulement après avoir opposé une vive résistance. Cette seconde lettre,
expliqua-t-il, censée être écrite elle aussi par Phaulkon et destinée au
capitaine anglais, mentionnait que, malgré les efforts de Phaulkon pour acheter
au Trésor siamois des
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