Le faucon du siam
excuses à Constant.
— Je m'excuserais volontiers, mon oncle, bien que je ne
songe qu'aux intérêts de Constant. Le Palais a introduit une espionne dans sa
maison et il n'en sait apparemment rien. Le Palais a évidemment fait un choix
très habile, ajouta-t-elle, comme pour apaiser l'humiliation de Phaulkon. Elle
s'appelle Sunida et elle a été formée aux arts de l'amour par Thepine dont les
exploits, dans notre quartier portugais, sont légendaires. »
Mestre Phanik la regarda avec stupéfaction. Il
allait dire quelque chose à Phaulkon quand il fut arrêté par ce qu'il lut sur
son visage. Il se tourna vers Maria. « Où as-tu obtenu cet incroyable
renseignement? Je veux le savoir sur-le-champ. »
Maria hésita, redoutant d'être allée trop loin.
« Pourrai-je m'expliquer plus tard, mon oncle?
implora-t-elle. Ma principale préoccupation pour l'instant est de sauvegarder
les intérêts de Constant. Il est manifestement en danger. »
Phaulkon était devenu d'une pâleur de cendre et il
semblait avoir renoncé à tout effort de dissimulation. Son attention fut un
instant détournée par le murmure des invités qui saluaient l'arrivée de
plateaux fumants où trônaient des perdrix magnifiquement décorées. Bien des
têtes se tournèrent vers lui d'un air admiratif.
Il suivit, sans vraiment le remarquer, le déroulement du
banquet. Il revoyait dans son esprit chaque détail de sa rencontre fortuite
avec Sunida au marché. À la lumière des étonnantes affirmations de Maria, il
n'était pas difficile de remplacer la coïncidence par une intention délibérée.
Pour quiconque était au courant des déplacements de Phaulkon, et surtout pour
quelqu'un chargé de le suivre, il ne devait pas être difficile de s'assurer
qu'il fréquentait le marché et que Sri était son amie. Sans doute avait-on
chargé celle-ci de transmettre les messages de Sunida. L'endroit paraissait
idéal pour faire venir une personne dont les autorités souhaitaient qu'il la
rencontre « par hasard ». Il se demandait comment il avait pu sur le moment
prendre aussi légèrement ce manège pour une coïncidence. Était-ce la stupeur de
revoir Sunida ? La jalousie devant l'histoire du mandarin — qui sans doute
n'existait même pas ? Il ressentit la vive douleur de la supercherie et la
morsure de l'orgueil blessé. Avait-elle tout au long fait semblant de
s'intéresser à lui ? Son estomac se contracta. Il évoqua tous les détails de
cette histoire de mandarin. Sur le moment, ils lui avaient paru suffisamment
crédibles. Mais comment Maria était-elle au courant de toute cette affaire?
Maria et mestre Phanik discutaient maintenant à
voix basse, apparemment plongés dans leur conversation. Peut-être faisaient-ils
exprès de le laisser seul à ses pensées. Il entendit mestre Phanik s'exclamer
: « Quoi ! tu veux dire que c'était la même Thepine qui est venue chez nous ? Meu Deus ! »
Les mets délicats dont Phaulkon avait soigneusement
surveillé la préparation arrivaient et repartaient sans qu'il y touche, en une
magnifique procession de vaisselle d'or, de plats de porcelaine et de coupes
d'argent.
Puis, peu à peu, son humeur changea. L'optimisme naturel
qui l'avait soutenu toute sa vie reprit le dessus et vint dissiper cet accès de
mélancolie. Il se rappelait maintenant comment le gouverneur de Ligor avait
paru hésiter quand il avait pour la première fois demandé que Sunida
l'accompagne à Ayuthia. L'idée de faire d'elle une espionne avait-elle germé
alors dans l'esprit du gouverneur? Est-ce que par hasard une de ses dépêches au
Barcalon suggérait que Sunida pourrait être l'espionne rêvée si, comme le
gouverneur l'avait certainement recommandé, on faisait entrer Phaulkon au
service du gouvernement ? Si le Barcalon avait trouvé le projet intéressant, il
l'avait sans doute transmis au Palais pour obtenir l'approbation de Sa Majesté.
Avec la complicité du Palais, on aurait fort bien pu faire venir discrètement
Sunida jusqu'à Ayuthia et y procéder à son éducation. Et quelle instructrice
plus qualifiée que Thepine, assuré-
ment la seule femme du palais ayant quelque expérience
des farangs? Il avait appris certaines choses sur elle par son ami le capitaine
Alvarez. C'était une grande séductrice, fort experte dans les arts de l'amour.
Il se rappelait qu'Alvarez lui avait raconté un jour que Thepine, en échange de
leur faveurs, faisait souvent profiter de ses informations les novices les plus
sensuelles
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