Le faucon du siam
maître était parti vers quelque pays lointain. Au
diable leur langue incompréhensible. Au diable l'ignorance et la stupidité des
indigènes. Au diable la chaleur et les mouches. Au diable, au diable, au diable
! Il frappa la
table avec son verre. La porte s'ouvrit et la jeune
indigène qui lui avait servi du cognac y passa la tête. Elle était plutôt
avenante pour une fille du pays, il devait en convenir. Mais elle ne se faisait
pas mieux comprendre que les autres. Elle avait du moins eu l'intelligence de
lui apporter une bouteille de cognac convenable. Elle devait sans doute singer
les habitudes de son maître. Il jeta un coup d'œil à la bouteille. Bonté
divine! Avait-il déjà bu tant que ça? La bouteille était à moitié vide.
Peut-être n'était-elle pas complètement pleine quand il avait commencé à boire.
Il essaya en vain de se rappeler.
Il se retourna. La fille était toujours là, sur le seuil.
« A quelle heure ton maître rentre-t-il à la maison, hein
? A quelle heure ? » répéta-t-il avec agacement, comprenant, au moment où il
prononçait ces mots, que c'était sans espoir. Elle se contentait de lui
sourire. Pourquoi ces indigènes souriaient-ils constamment? C'était exaspérant.
Même le garde en faction à la factorerie avait commencé par sourire quand il
avait exigé qu'on le laisse entrer. Il avait fallu qu'il s'emporte pour que cet
imbécile cesse enfin de sourire.
Chez Burnaby, il avait convaincu l'une des servantes
effrayées, qui lui avait paru moins demeurée que les autres, de lui montrer le
chemin de la maison du Grec. Le nom de Phaulkon avait pénétré, semblait-il,
leurs crânes épais, car cette fille avait eu l'air de comprendre. Il n'avait
pas tardé à découvrir que Phaulkon, lui aussi, était introuvable, mais sa belle
gouvernante avait fait montre d'un esprit d'initiative inattendu.
Elle l'avait fait entrer dans une chambre et lui avait
proposé une couverture pour s'étendre, rapprochant ses mains jointes de sa joue
pour indiquer qu'il avait peut-être envie de dormir. Mais il n'était pas
fatigué. Il était seulement frustré et fou de rage. Elle s'en était apparemment
rendu compte et lui avait alors montré un fauteuil dans le salon. Puis elle
l'avait laissé. Elle était revenue avec une serviette fraîche pour lui essuyer
le front ainsi que la bouteille de cognac. Après
lui avoir baigné le visage, elle avait appelé une autre
fille pour qu'elle lui masse le cou et les épaules et, pendant un moment, il
s'était senti mieux. Sur ce, il s'était servi encore un verre de cognac et
s'était mis à réfléchir. Puis un autre verre, et encore un, et à chaque gorgée
sa colère n'avait cessé de croître : maintenant elle le dévorait.
Il entendit un bourdonnement près de son oreille gauche.
Un moustique se posa sur son visage : d'une claque sur la joue il l'écrasa. Il
examina le sang au bout de ses doigts et l'essuva sur son gilet. Il entendit
alors un cri étouffé provenant de la silhouette plantée sur le pas de la porte
: un instant plus tard, elle était de retour avec une autre serviette. Elle lui
lava les mains, puis frotta la tache sur son gilet. Qu'essayait-elle donc de
faire? De le dorloter? Il n'eut pas le temps de la congédier que déjà elle
s'était éclipsée. Puis, elle revint avec une demi-douzaine de bâtonnets qui se
consumaient dans une écœurante odeur d'encens. Elle les répartit dans toute la
pièce, en les plaçant dans de petites soucoupes disposées à cet effet. Au
diable les moustiques! Imaginait-elle vraiment que ces baguettes qui brûlaient
allaient leur faire peur? À moins que ce ne fût l'odeur. D'ailleurs, qu'est-ce
que ces indigènes pouvaient savoir des moustiques? Les insectes ne daignaient
même pas les mordre. Il fallait du sang d'Anglais pour les satisfaire ou, à
défaut, peut-être la variété hollandaise.
Potts croisa les bras sur la petite table devant lui et y
appuya un moment sa tête. Au bout de quelques secondes, il ronflait bruyamment.
Sunida entra en silence et vint déposer un coussin contre le dossier de son
siège. Puis, fronçant le nez devant son haleine empestant l'alcool, elle le
prit par les épaules et le cala doucement contre les coussins. « Ah, ces
farangs », murmura-t-elle avec dédain. Elle se rappelait l'état d'ébriété dans
lequel elle avait trouvé les officiers du navire, à Mergui, lorsqu'elle était
arrivée à bord sans être annoncée. Comme ils étaient ridicules à essayer
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