Le faucon du siam
pourquoi je n'ai
aucune crainte. » Avec un peu de chance et la réussite de l'expédition en
Perse, songea Phaulkon, je n'aurai bientôt plus à répondre devant ces maudits
directeurs anglais. Et alors, mijn heer, je me dresserai devant vous
comme un Siamois, résolument hostile. « Mais si vous voulez bien m'excuser, il
faut que je regagne ma place. Comme toujours, heer Faa, ce fut un
plaisir de converser avec vous. » Les deux hommes se saluèrent.
« Mon oncle m'a réprimandée pour mon attitude envers
vous, Constant, lança Maria à Phaulkon qui regagnait sa place. Faut-il que je
vous demande pardon?
— Tu l'as déjà fait en laissant tomber le mot «
oncle ». Désormais, je ne te considérerai plus jamais comme une enfant.
— J'en suis heureuse. Personne d'autre ne le fait.
— Vous savez, Constant, déplora son oncle, on m'a
déjà demandé deux fois sa main depuis notre dernière rencontre. C'est affolant.
Parce qu'elle est vraiment une enfant.
— Vous voyez, Constant, maintenant que vous êtes
converti, mon oncle est le seul à le croire encore.
— C'est bien normal, ma chère. Tu seras toujours sa
petite nièce, quel que soit ton âge. Il ne pourra jamais te regarder d'un autre
œil.
— Mais vous le pourriez? demanda-t-elle, coquette.
— Je n'oserais pas, répondit Phaulkon d'un ton
moqueur.
— Quelle erreur ce serait », répliqua-t-elle. Il
était difficile de juger à son ton dans quelle mesure elle plaisantait.
Pourtant mestre Phanik paraissait fort énervé.
« Mais, dites-moi, Constant, fit-elle en le regardant
soudain droit dans les yeux, comment va Sunida ? »
Phaulkon retint son souffle. « Sunida ? » répéta-t-il
comme si le nom ne lui disait rien.
Une voix intérieure enjoignait à Maria de s'arrêter, mais
un petit démon la poussait. Pas question à présent de battre en retraite.
« Oh, allons donc, Constant ! Sunida, la belle séductrice
du Sud. » Elle se pencha vers lui. « Celle envoyée par le Palais pour vous
espionner. »
Phaulkon resta sans voix.
Maria constata avec satisfaction l'effet qu'avaient
produit ses paroles. Quel habile message Thepine avait envoyé, se dit-elle;
d'autant plus qu'il avait dû paraître incompréhensible au garde. « L'homme à
propos duquel tu m'as interrogé est dans ta langue un oiseau de proie »,
indiquait le billet. Il n'avait pas fallu longtemps à Maria pour en comprendre
le sens : vautour, épervier, faucon... Phaulkon! Ainsi, son bien-aimé Constant
était celui que Sunida était chargée d'espionner. Comme c'était aimable à
Thepine d'avoir tenu sa promesse : elle avait mis Maria au courant. Mais quand
le messager lui avait demandé du poison pour tuer les rats dans la cellule de
Thepine, Maria avait été stupéfaite. La cellule de Thepine? Quelle
nouvelle folie avait pu provoquer la disgrâce de la belle et scandaleuse
concubine? Connaissant les règles strictes du palais et les sévères punitions
qui frappaient ceux qui les transgressaient, Maria avait deviné que cette
démarche était une ruse de Thepine pour se donner la mort. Elle n'avait donc
pas accédé à sa requête. En tant que chrétienne, elle ne pouvait accepter le
suicide malgré toutes les épreuves que Thepine pouvait avoir à supporter. Le
garde, très nerveux, avait paru quelque peu ragaillardi lorsque Maria avait ôté
la petite croix d'or qu'elle portait autour du cou et la lui avait remise en
disant que la prisonnière devait prier et y puiser de la force en cette heure
d'adversité.
Maria fut interrompue dans ses réflexions par Phaulkon.
« De quoi parles-tu, Maria? » Il avait retrouvé sa voix
mais elle sonnait étonnamment creux.
Elle hocha la tête comme si elle avait devant elle un
enfant capricieux. « Qu'il est facile pour une femme de tourner la tête d'un
homme! La belle Sunida qui satisfait tous vos désirs, qui est si profondément
amoureuse de son Constant... » On sentait l'ironie dans sa voix. « Et qui ne
cesse de faire un rapport au Palais sur chacun de ses gestes. »
Phaulkon était stupéfait. La rumeur du banquet lui
emplissait les oreilles, les silhouettes autour de lui se brouillaient.
Qu'est-ce qui lui arrivait? Au prix d'un grand effort il parvint à se
contrôler. Avant qu'il ait pu trouver une réponse, mestre Phanik
intervint.
« Je ne sais pas de quoi tu parles, Maria, mais ta
conduite ce soir est inexcusable : j'en suis positive-ment honteux. Veux-tu, je
te prie, t'expliquer et faire immédiatement des
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