Le faucon du siam
de cette mission quelqu'un
ayant l'expérience du commerce en Asie et qui connaissait très bien les langues
de la région...
Phaulkon regarda George. Ce vieux matois, il a lancé
l'idée et maintenant il me laisse la digérer. C'est ainsi que le vieil homme
l'avait toujours éduqué et c'était ainsi que Phaulkon avait appris à réfléchir
tout seul.
Mais construire à Sa Majesté une flotte sans l'aide de la
Compagnie? George avait totalement exclu cette coopération. Pourquoi d'ailleurs
les aiderait-elle? « Bon sang, s'écria-t-il, c'est quand même Madras qui vous a
envoyé enquêter au Siam !
— Bah, on voulait qu'un vieux chien fasse son dernier
numéro. » Le vieil homme sourit. « Eh bien, mon garçon, je m'en vais faire plus
que cela. Je vais passer par-dessus Madras et m'adresser directement au conseil
d'administration de Londres. J'ai encore un peu d'influence là-bas et le vieux
Sir Joshua m'écoute avec assez d'attention quand je parle. Avant de prendre ma
retraite, je vais veiller à ce que le Siam ouvre largement ses portes au
commerce anglais et que toi, ajouta-t-il en brandissant un doigt sous le nez de
Phaulkon, toi, tu surveilles l'opération. »
Phaulkon, pour une fois, resta sans voix. « Mais... la
Compagnie ne voudra jamais... je n'ai que vingt-sept ans, je suis trop jeune...
— Pour être promu chef de factorerie? interrompit George,
c'est exact. Et l'idée ne me viendrait pas non plus de le proposer. C'est
pourquoi je m'en vais recommander Richard Burnaby, avec toi comme second. » Il
lui fit un clin d'œil. « Tu sauras le manœuvrer. »
Phaulkon sentait ses pensées tourbillonner dans son
esprit. Si quelqu'un était capable d'arranger ça, c'était bien George. Certains
des bureaucrates du conseil d'administration de Londres méprisaient peut-être
les méthodes peu orthodoxes de George, mais d'autres l'admiraient et le
président, Sir Joshua Childe, était un homme d'action.
« Maintenant, reprit George, n'oublie jamais ceci : les
Siamois cherchent quelqu'un pour contrer la puissance des Hollandais. Ce
quelqu'un, ce doit être nous, car les Jésuites toujours assoiffés d'âmes font
déjà pression en faveur de la France. "La grande Alliance" et toutes
ses extravagances gauloises. Et ces rusés Jésuites sont les seuls à avoir
maîtrisé cette langue impossible. Maintenant, doué comme tu es pour les
langues... »
Phaulkon sourit. Une fois de plus, George avait fait
mouche. Phaulkon avait très envie d'apprendre le siamois : on ne trouvait nulle
part de professeur ni de manuel utilisable. Plus il entendait parler de
l'impossibilité d'apprendre la langue, plus il était déterminé à la maîtriser.
« Apprends-la vite, mon garçon. Et apprends de nouvelles
manières. » Il sourit. « Oublie toutes celles de l'aristocratie anglaise que je
me suis donné tant de mal à t'inculquer et attache-toi plutôt à celles de la
noblesse siamoise. Ne montre jamais quelqu'un du doigt, cache-lui la plante de
tes pieds. Ne traverse pas un pont quand d'importants personnages passent
au-dessous.
— Et la flotte, George, obtiendrez-vous du conseil
de Londres qu'il la finance?
— Non, répondit George avec fermeté. Trop de
paperasseries. Il y a un meilleur moyen. C'est moi qui t'enverrai ton
premier vaisseau, commandé par mon frère Samuel; il travaille pour la Compagnie
à Madras. Il sera pris quelque part dans une tempête au milieu du golfe du
Bengale et viendra chercher abri à Mergui, sur la côte ouest du Siam. À toi de
trouver de quoi acheter la cargaison pour remplir ce navire... et tu le
trouveras, dès l'instant où je t'aurai envoyé au Siam.
— Et le reste de la flotte?
— Il ne faudra pas plus d'un chargement pour montrer
au Trésor siamois ce que les Maures se mettent dans la poche. Ensuite les
Siamois eux-mêmes se précipiteront pour financer le reste. Tu n'auras qu'à
acheter — officiellement, attention, au Trésor siamois — un plein chargement de
marchandises pour la Perse et à embarquer sur le vaisseau de Sam. Ensuite, tu
l'envoies en Perse au lieu de laisser les Maures le faire, tu verses la moitié
des profits de cet unique voyage à la Couronne siamoise. Je peux te dire, mon
garçon : c'est plus qu'ils n'en auront jamais obtenu des Maures de toute leur
vie. » George éclata de rire. « Tiens, tu pourrais même bien être le premier
roturier à qui le roi adressera la parole ! »
George se leva et s'approcha de Phaulkon. Il le prit
affectueusement par
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