Le faucon du siam
à cheval le concernerait-elle?
Le fait qu'ils soient armés n'avait rien d'extraordinaire. Les bandits de grand
chemin étaient peut-être rares au Siam, mais le danger de rencontrer des bêtes
sauvages expliquait facilement le besoin d'armes. Pas étonnant que la
population se fût installée partout sur les rives des fleuves et qu'elle se
limitât au transport par voie d'eau, songea-t-il. Mais pour-
quoi ces trois chevaux supplémentaires? lui soufflait une
voix. Sans doute comme bêtes de rechange, se persuada-t-il.
Il sommeilla, sans trop savoir pendant combien de temps,
puis d'instinct s'éveilla de nouveau. Un cavalier s'était levé et s'approchait
du grand feu. Il dit quelques mots aux gardes qui tournèrent les yeux dans la
direction de Phaulkon. Cette fois il ne rêvait pas. Les paupières mi-closes, il
les examina. Un des chevaux poussa un hennissement, puis il entendit un bruit
derrière eux. Un faible bruit : un bruissement de feuilles, le craquement d'une
petite branche. On approchait également de l'autre côté. Burnaby et Ivatt
dormaient à poings fermés. Burnaby avait allongé ses longues jambes et son pied
blessé reposait sur une bûche. Ivatt était pelotonné sur lui-même comme un
chat.
Phaulkon fit semblant de s'agiter dans son sommeil. Il se
mit sur le dos et tourna la tête de l'autre côté. Immobile, il scruta
l'obscurité. Retenant son souffle, il tendait l'oreille. À part les bruits de
la nuit, c'était le silence. Puis il entendit de nouveau. Quelque chose
bougeait par là. Était-ce une bête sauvage ? Ou quelqu'un qui rampait
prudemment vers lui ?
Il scruta les ténèbres dans la direction d'où venait le
bruit. Peu à peu il distingua une silhouette à peine visible dans l'obscurité
mais proche. Elle s'élevait à une grande hauteur : c'était un arbre, mais
quelque chose derrière le tronc se déplaçait. Il fixa l'ombre mouvante. Elle se
tenait debout. C'était un être humain, pas un animal.
Un cri étouffé jaillit de ce côté-là. Phaulkon se souleva
sur un coude et guetta le bruit : ce n'était plus maintenant qu'une série de
gémissements sourds. Il aperçut une silhouette pliée en deux, se tenant la
cheville à deux mains. Basculant sous la moustiquaire, il approcha avec
lenteur. La silhouette leva les yeux. « Maengpong! » entendit-il
murmurer avec angoisse. Un scorpion. Le pauvre diable! songea Phaulkon.
Il se retourna pour alerter les gardes mais les mots se
figèrent sur ses lèvres. Bumaby, assis sur son séant,
clignait des yeux. Un des cavaliers était planté devant
lui, brandissant une épée au-dessus de sa tête. Ivatt regardait le canon d'un
mousquet braqué sur lui. Trois autres hommes maintenant pointaient sur Phaulkon
leurs harpons empoisonnés. Une vague lueur commençait à éclairer le ciel. Le
camp s'agitait peu à peu.
« Sombat a été mordu par un scorpion ! cria quelqu'un à
l'arrière-plan.
— Ces morsures sont presque toujours fatales, dit
une autre voix.
— Je crois qu'il est mort, fit un troisième.
— Qu'on le brûle, ordonna le chef des cavaliers, son
mousquet toujours braqué sur Ivatt. Ensuite, en route. » Il désigna les ballots
posés sur le sol : les quelques vêtements que le gouverneur avait donnés aux
farangs pour le voyage. « Ramasse ça », ordonna-t-il en regardant Phaulkon d'un
ton qui ne laissait pas de doute sur ses intentions.
Phaulkon ramassa lentement les paquets tout en
considérant le cadavre qu'on transportait maintenant jusqu'au feu. À la lueur
des flammes, Phaulkon surprit le regard du naï : mais le capitaine détourna la
tête, reconnaissant tacitement sa complicité. Il était donc avec eux, songea
Phaulkon le cœur serré. Les chances étaient bien minces de s'attaquer à une
armée de cinquante hommes.
« Que diable se passe-t-il, Constant? demanda Burnaby maintenant
parfaitement réveillé.
— Faut-il les attaquer, Constant? cria Ivatt. Vous
n'avez qu'à me donner l'ordre.
— Pas maintenant. Us ont largement l'avantage du
nombre. Le capitaine est aussi dans le coup, j'en ai peur.
— Dans quel coup? interrogea Burnaby.
— Du diable si je le sais, répondit Phaulkon. Mais,
si ces chevaux sont venus de Ligor, ils ont fort bien pu partir une
demi-journée après nous pour nous rattraper à la tombée de la nuit. Peut-être
Van Risling a-t-il encore inventé quelque chose.
— Vous voulez dire que ces canailles pourraient être
ici en mission officielle ? » demanda Burnaby avec
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