Le faucon du siam
feu et commencèrent à cuire
du riz dans un chaudron noir. Us le parsemèrent de pousses de bambou et en
offrirent aux farangs dans de petits bols. Pas de cuiller : ils mangèrent avec
leurs doigts.
Phaulkon espérait glaner des informations en écoutant
leur conversation, mais c'était à peine s'ils échangeaient quelques mots. Il
envisagea un moment de se mettre à parler siamois pour leur demander ce que
tout cela signifiait, puis il se ravisa. De toute façon, il y avait peu de
chance pour qu'ils révèlent quoi que ce soit, surtout qu'il n'avait rien pour
les acheter : mieux valait donc garder un peu plus longtemps secret le fait
qu'il connaissait leur langue. Ils se reposèrent un peu après le repas et,
quand ils repartirent, le soleil brillait bien haut dans le ciel. Les farangs
enroulèrent des bandes de tissu autour de leur tête pour se protéger le crâne.
Burnaby reconnut un carrefour de la route où la veille il
avait aperçu un centipède noir d'un pied de long, une créature venimeuse dont
il savait que la morsure était aussi mortelle que celle d'un scorpion : il en
déduisit qu'ils n'étaient plus qu'à une heure ou deux de Ligor. Ils
chevauchèrent en silence jusqu'au moment où ils aperçurent quelques cabanes de
paysans avec des animaux de ferme — poulets, porcs et buffles — et ils
comprirent qu'ils approchaient des faubourgs de la ville.
Trois cavaliers apparurent au loin, barrant la route avec
leurs montures. Deux d'entre eux étaient torse nu tandis que le troisième
portait une chemise de mousseline blanche avec des manches trois quarts. Un
haut fonctionnaire escorté de deux esclaves, se dit Phaulkon. Aucun d'eux ne
semblait armé.
En approchant, les Européens reconnurent l'homme à la
chemise. C'était l'un des aides de camp du gouverneur, un subalterne du Palat :
il avait un nez particulièrement épaté facilement reconnaissable. Phaulkon se
rappela qu'Ivatt s'était demandé comment on pouvait arriver à respirer avec un
tel appendice.
L'homme salua les farangs avec le minimum de politesse et
donna un ordre à l'escorte. Les cinq cavaliers remirent mousquets, épées et
harpons empoisonnés aux deux nouveaux venus au torse nu qui les emportèrent au
galop. L'aide de camp du gouverneur fit signe aux farangs de le suivre et leur
ancienne escorte, maintenant désarmée, recula à une cinquantaine de pas. Ils
suivirent le groupe de tête à bonne distance, tandis que l'aide de camp, seul
avec les farangs, prenait un itinéraire apparemment tortueux qui évitait à la
fois le palais du gouverneur et le centre de la ville.
Phaulkon comprit soudain que leur petite troupe devait
passer aussi inaperçue que possible. Voilà qui pouvait expliquer l'escorte à
quelque distance et l'abandon des armes. Pour on ne sait quelle raison, ils ne
devaient pas attirer l'attention. Ils tournèrent à gauche en direction du bord
de mer et débouchèrent bientôt sur une vaste plage qui s'étendait aussi loin
que pouvait porter le regard. Ils avancèrent en silence et sans hâte le long du
rivage bordé de palmiers. Puis l'aide de camp finit par s'arrêter et mit pied à
terre au sommet d'un tertre sablonneux d'où la vue s'étendait assez loin sur
l'océan. Il fit signe aux deux autres d'en faire autant. L'escorte les suivait
toujours. L'aide de camp mit sa main en visière et regarda vers le large. Tous
suivirent son regard. Un horrible soupçon les envahit. Avec une inquiétude
croissante, ils regardaient, ils attendaient. La mer s'était retirée très loin
: à bonne distance, de petites vagues se brisaient et reculaient encore. Puis,
un instant, la mer resta lisse.
Ils l'aperçurent soudain. Quelques secondes plus tard,
une vague vint de nouveau le submerger mais ce spectacle leur avait glacé le
cœur. Ils regardaient, pétrifiés, espérant malgré tout qu'ils avaient été
vic-times d'une illusion d'optique. Mais l'objet réapparut et, cette fois, bien
plus longtemps.
La gueule d'un canon pointait distinctement au-dessus de
l'eau. Une des cinq pièces du maître fondeur De Groot qui auraient dû faire
leur fortune par l'intermédiaire de la reine rebelle de Pattani.
12
«Toi, le criminel, avance! » Pétrifié de terreur, le
Siamois demeurait figé sur place. Il n'avait pour tout vêtement qu'un pagne et
une image de Haminan, le dieu singe, était tatouée sur son bras droit.
« J'ai dit : en avant ! »
Le prisonnier avança.
« Sors ta langue ! »
Lentement, la langue apparut. Le
Weitere Kostenlose Bücher