Le faucon du siam
extraordinaires — vert doré,
jaune vif et rouge rubis — s'envolaient sur leur passage, des singes jouaient
avec eux. Ils passaient maintenant devant des rangées de cotonniers qui
servaient aux Siamois à tisser leurs éternels panungs. Le coton était le tissu
le plus populaire, non seulement parce qu'il était bon marché et facile à se
procurer, mais aussi parce que, quand il était trempé de sueur, il ne devenait
pas froid et ne collait pas à la peau comme la toile ou la soie.
En songeant aux magnifiques panungs de coton turquoise et
azur qu'elle aimait porter, les pensées de Phaulkon revinrent à Sunida.
Il s'en était allé trouver le gouverneur de bonne heure
ce matin-là pour lui demander la permission d'emmener Sunida avec lui. Le
mandarin avait envoyé un messager à la factorerie hollandaise pour faire venir
l'interprète, mais l'homme était rentré bredouille. Impossible de trouver
l'interprète. Phaulkon soupçonnait Van Risling d'avoir interdit à celui-ci de
retourner au palais après avoir entendu le récit des événements de la veille.
Faute d'interprète, il avait été difficile de deviner les
raisons précises du refus opposé par le gouverneur. Phaulkon était certain que
celui-ci avait bien compris sa requête car il avait commencé par hésiter puis,
comme si sa décision était prise, il avait secoué la tête en faisant semblant
de ne pas comprendre. Phaulkon avait la nette impression que, quelle qu'en fût
la raison, cela arrangeait le gouverneur d'avoir l'air de ne pas saisir le sens
de sa demande.
Sunida avait passé toute la nuit auprès de lui, à lui
caresser doucement le front et les tempes, en évitant soigneusement les zones
meurtries. Il était certain qu'elle n'avait pas fermé l'œil. De temps en temps,
elle massait les blessures avec l'onguent prescrit par le médecin et approchait
de ses lèvres une tasse de thé. Il s'était éveillé pour la toucher à son tour.
Il avait humé son parfum, éprouvant une nouvelle extase devant ses gestes doux,
caressants et réconfortants.
Au lever du jour, il avait tenté de la convaincre de
l'accompagner chez le gouverneur pour lui demander l'autorisation de partir
pour Ayuthia : elle avait refusé en indiquant qu'il devait y aller seul.
N'osait-elle pas dire au gouverneur qu'elle voulait quitter son service pour
s'en aller avec le farang? Telle était l'impression de Phaulkon. En tout cas,
elle avait insisté pour qu'il présentât lui-même sa requête. Peut-être, à ses
yeux, cela laisserait-il entendre que l'idée venait de lui et non pas d'elle.
Il voyait pourtant qu'elle était prête à l'accompagner, qu'elle ne demandait
même que ça.
Quand il était revenu lui annoncer le refus du
gouverneur, elle avait baissé les yeux tristement et lui avait serré très fort
le bras. Il lui avait expliqué de son mieux que le moment était mal choisi pour
affronter le gouverneur mais qu'il n'était pas près de l'oublier et qu'à la
première occasion il reviendrait la chercher.
Elle parut comprendre : elle se désigna du doigt et
esquissa toute une série de petits pas de danse pour montrer que, partout où
elle serait, elle l'attendrait aussi longtemps qu'il faudrait. Il avait failli
éclater en sanglots, sachant que l'absence de cette fascinante danseuse serait
pour lui une perte aussi cruelle que celle de ses canons. Il allait déployer
les efforts nécessaires pour récupérer le tout.
Elle l'avait accompagné jusqu'à la lisière de la ville et
avait souri fièrement quand le gouverneur avait remis cérémonieusement à
Phaulkon une lettre pour le Barcalon.
Phaulkon pensait maintenant à la missive qui se trouvait
dans sa poche en se demandant dans quels ternies elle était rédigée. Une lettre
au grand Barcalon ! Voilà qu'on lui accordait un sursis, une nouvelle occasion
d'atteindre son but. Avec de la chance et des paroles choisies avec soin,
peut-être parviendrait-il encore à persuader le Barcalon d'emplir le navire de
Sam White de marchandises appartenant au Trésor — et à crédit, car il n'avait
pas d'argent pour les acheter. Dans un mois, il serait à Avuthia et, en
comptant deux semaines de plus pour le transport des marchandises d'Avuthia à
la côte, cela ne laisserait qu'un mois et demi pour accomplir sa mission :
dénoncer les Maures et convaincre le Barcalon. Il n'y avait pas de temps à
perdre.
La journée s'écoula rapidement : il ne pensait qu'à
Sunida et aux richesses de la Perse. Le terrain
Weitere Kostenlose Bücher