Le faucon du siam
Majesté ne s'abaisserait à de telles pratiques, quand bien même ce farang
parlerait la langue comme un natif du pays. Mais, il fallait bien le
reconnaître, sa maîtrise du siamois était stupéfiante.
Le farang semblait lire ses pensées. « Excellence, moi,
un grain de poussière, je comprends fort bien vos raisons de mettre en doute
mes explications. Je n'ai aucune lettre royale m'autorisant à transporter les
canons, rien qui prouve mon statut d'envoyé de Sa Majesté. Je vous ai caché ma
connaissance du siamois et je n'en ai fait la révélation que quand vous avez
livré mon collègue à la torture. Si vous voulez bien pardonner ma présomption,
à la place de Votre Excellence je n'aurais pas eu d'autre réaction. » Il marqua
un temps. « Il y a peut-être pour moi un moyen de prouver mon innocence, mais
ce sera délicat de l'expliquer plus tard à Son Excellence le Pra Klang. » Il
hésita, tandis que le mandarin l'observait impassible. « Excellence, je propose
de rester sous votre garde tandis que vous ferez demander à Ayuthia
confirmation de mon statut. Je vous supplierai toutefois de limiter vos
questions aux seuls canons car, si l'on savait que j'ai révélé mon rôle
d'envoyé de Sa Majesté, je ne manquerais pas d'être exécuté. Quand la vérité
sera confirmée à propos des canons, peut-être Votre Excellence voudra-t-elle bien
croire que je ne lui ai pas menti non plus quant à mon autre rôle. » Phaulkon
se rendait bien compte du formidable risque qu'il prenait, mais dehors le
bourreau attendait toujours des ordres. Avant tout, il fallait gagner du temps.
La fureur du mandarin d'avoir été dupé et d'avoir perdu la face de façon aussi
honteuse pouvait faire à tout moment qu'il ordonne son exécution.
Un sourire narquois plissa les lèvres du gouverneur. «
Ainsi, monsieur Forcone, si je vous comprends bien, on vous a donné l'ordre de
livrer les canons à Songk-hla, à deux jours de voyage au sud, et d'espionner en
même temps ma province? Vous êtes vraiment un homme remarquable.
— Excellence, il ne fallait faire escale à Ligor qu'afin
de me ravitailler en route pour Songkhla. Quoi de plus naturel ? Et je devais
rester quelques jours ici pour faire mon rapport. Si vous aviez insisté pour
inspecter ma cargaison, vous auriez trouvé mes documents parfaitement en ordre.
Je me permettrai d'ajouter, Excellence, que mon rapport n'aurait contenu que
des éloges pour la sagesse et la justice de votre gouvernement. »
Le gouverneur reprit de nouveau son air impénétrable et
se mit à mâcher une deuxième noix de bétel. La proposition du farang de rester
en otage à Ligor pourrait faire davantage que maintenir un peu plus longtemps
la tête de cet homme sur ses épaules, se dit-il. Cette décision pourrait aussi
fournir au gouverneur une solution qui lui sauverait la face. Il pourrait
renvoyer le grand farang à Ayuthia pour obtenir un nouveau jeu de documents —
si tant est qu'ils aient existé — et garder ici le boxeur en otage. S'il
envoyait également le petit farang à Ayuthia, il n'aurait pas l'impression de
garder quelqu'un prisonnier. Il trouverait une excuse publique raisonnable pour
retenir un peu plus longtemps le boxeur dans sa province, en qualité d'invité
naturellement. Il eut un petit sourire. Il allait renvoyer les deux autres par
bateau. Voilà qui expliquerait pourquoi ils n'avaient pas poursuivi leur voyage
par voie de terre. N'ayant pas l'habitude des éléphants, les farangs avaient
été très malades. En même temps, il adresserait une nouvelle dépêche au Pra
Klang, l'informant de la découverte des canons, demandant confirmation de
l'histoire du farang moyen et expliquant que lui-même avait pris la précaution
de le garder en otage. Il regarda Phaulkon et sourit pour la première fois.
« Votre proposition, monsieur Forcone, me semble
raisonnable. Je vais renvoyer vos amis à Ayuthia par mon bateau. Vous n'aurez
plus le droit de communiquer avec eux avant leur retour, munis des documents
appropriés fournissant la preuve de la mission dont vous êtes chargé.
Jusque-là, vous serez mon "hôte" et l'on vous aménagera un
appartement dans le palais. Sunida pourra vous tenir compagnie si vous le
souhaitez. » Il serait précieux d'avoir cette fille vive et loyale pour
l'espionner, maintenant qu'ils pouvaient converser ensemble, songeait avec
satisfaction le mandarin. « Ah, encore une chose. Ce rapport que vous prépariez
sur ma province, voudriez-vous le
Weitere Kostenlose Bücher