Le faucon du siam
pourquoi son oncle
l'avait laissée devenir sa compagne à lui, un farang. Mais il estima que le
moment n'était pas venu de poser une telle question.
Sunida le regarda calmement. « Au cas où mon Seigneur se
demanderait pourquoi Son Excellence m'a permis de passer du temps avec vous,
c'est parce qu'il s'est pris personnellement d'une grande amitié pour vous. Il
déteste les Hollandais et il estime que notre pays est de plus en plus à leurs
ordres. Il est convaincu que vous et vos compatriotes pourrez nous aider à
retrouver notre dignité. »
Phaulkon songea à la découverte des canons et maudit sa
malchance. Que n'aurait-il pu obtenir, soutenu par la bonne volonté d'un aussi
puissant mandarin?
« Et Son Excellence a-t-elle donné une raison pour
refuser de te laisser m'accompagner? » demanda Phaulkon.
Sunida baissa modestement la tête. « Son Excellence a été
infiniment gracieuse. Elle a dit que j'étais irremplaçable dans sa troupe de
danseuses. »
Comme dans son cœur, faillit ajouter Phaulkon. Il la
regarda. Elle était incroyablement belle, tout en étant sage et intelligente.
Il sentait que, derrière sa timidité naturelle et son apparente soumission, se
cachait une forte volonté qui savait très bien comment et quand se faire
entendre. Elle était l'incarnation même de la féminité siamoise. Il se
demandait maintenant si on ne l'avait pas envoyée l'espionner. Sinon, pourquoi
le gouverneur l'aurait-il laissée lui tenir compagnie ? Il lui fallait prendre
garde à ce qu'il lui disait, mais en même temps il avait besoin de davantage de
renseignements pour son rapport. Et puis il aimait se trouver avec elle.
Il l'observa sans rien dire. Cette douce et sensible
créature pourrait-elle vraiment le trahir? Il eut soudain le cœur serré à
l'idée de la perdre. Il devait trouver un moyen de s'échapper d'ici mais le
gouverneur, l'oncle de îa jeune femme, pourrait bien ne jamais la libérer. Cela
l'attristait de penser combien il avait dû la vexer — la ridiculiser même — en
ne lui avouant pas qu'il parlait sa langue. Il se souvenait des efforts qu'elle
avait faits pour s'exprimer par gestes. Et voilà maintenant que, gentiment et
sans rancœur apparente, elle semblait accepter l'explication qu'il lui donnait.
Ou plutôt son absence d'explication. Avec un sourire timide, elle croisa son
regard : il éprouva l'envie de la serrer contre lui — et d'implorer son pardon.
« Je suis désolé des choses terribles dont tu as été
témoin aujourd'hui, dit-il avec sincérité.
— J'ai eu très peur, mon Seigneur. Pour le petit
farang et pour vous. » Elle hésita. « Son Excellence m'a ordonné d'oublier tout
ce que j'ai vu et de ne plus jamais en parler. Je dois obéir.
— Tout cela était un terrible malentendu, dit
Phaulkon.
— Mon Seigneur, répondit Sunida en levant les yeux
vers lui, mon Seigneur va-t-il rester longtemps ?» Il y avait dans sa voix tout
à la fois de l'espoir et de la crainte.
Phaulkon hésita. « Encore un peu, de toute façon.
— Mon Seigneur.
— J'ai encore des affaires dont je dois discuter
avec Son Excellence. » Il parut réfléchir. « Son Excellence est un homme si
remarquable. Il doit être bien aimé dans la province.
— Oh, oui, mon Seigneur. Il est juste et le peuple
l'aime. Il est comme un père pour nous tous. Même le plus pauvre fermier peut
venir se plaindre à lui. » Une ombre passa sur son visage. « On m'a dit que ce
n'était pas toujours le cas dans les autres provinces. Le Seigneur Bouddha nous
a vraiment bénis.
— As-tu jamais visité d'autres provinces? interrogea
Phaulkon.
— Oh non, mon Seigneur. Mais peut-être qu'un jour je
verrai Avuthia. Qui sait ? » Elle soupira. « Il paraît que c'est la plus grande
ville du monde. Mais vous, mon Seigneur, qui avez tout vu, dites-moi si c'est
vrai ?
— Mais oui, Sunida : il n'y a pas de plus bel
endroit au monde. Et un jour, si Dieu le veut, je t'emmènerai là-bas. » Sunida
inclina la tête. « S'il plaît à mon Seigneur.
— Peut-être que, si tu apprends à danser un peu
moins bien, Son Excellence te laissera partir. »
Elle se mit à rire. « Oh, mon Seigneur, je ne pourrais
pas faire ça. » Elle lui lança un regard malicieux. « Mais peut-être
existe-t-il d'autres moyens.
— Quels pourraient-ils bien être? demanda-t-il,
sincèrement intéressé.
— Je ne suis malheureusement pas en mesure
d'expliquer. » Elle eut un rire d'enfant. Phaulkon rit à son tour.
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