Le faucon du siam
Il aurait
tant voulu la prendre dans ses bras. Mais son corps était encore très endolori
et il avait des affaires urgentes à régler.
« Dis-m'en davantage sur cette merveilleuse province et
sur son gouverneur si bon et si juste. Il faut que j'aie quelque chose à
raconter à mes amis quand je rentrerai. » Il devait paraître convaincu que,
sitôt le nouveau jeu de documents arrivé pour confirmer son récit, il allait
retourner à Ayuthia.
Sunida réfléchit un moment. « Je ne sais pas si je
devrais vous raconter tout ça. C'est vraiment un secret. Mais je tiens tant à
ce que Son Excellence et vous... n'ayez plus de "malentendus". » Elle
s'interrompit. « Vous comprenez, Son Excellence vous aime vraiment. C'est elle
qui vous a sauvé.
— Que veux-tu dire?
— Pendant la grande tempête, des pêcheurs sont
accourus pour annoncer à Son Excellence qu'un navire était en difficulté. Son
Excellence est descendue sur le rivage avec son gros œil.
— Quel gros œil?
— Mais si, vous savez, ce que les farangs hollandais
tiennent devant eux pour que les choses aient l'air plus grandes.
— Une longue-vue, murmura Phaulkon en anglais.
— Eh bien, les farangs hollandais ont offert à Son
Excellence un gros œil pour son anniversaire. Quand Son Excellence est arrivée
sur le rivage, le farang hollandais regardait déjà dans son gros œil à lui. Il
a dit à Son Excellence que le navire battait pavillon britannique et que,
d'après un rapport qu'il avait reçu, le bateau transportait de la contrebande.
Il fallait le laisser couler avec tout l'équipage.
— Comment sais-tu tout ça? demanda Phaulkon surpris.
— Le Palat... dit-elle d'un ton hésitant.
— Comment ça, le Palat?
— II... il s'intéressait à moi », fit Sunida d'une
petite voix.
Phaulkon sentit un pincement de jalousie inattendu. «
Alors il t'a raconté tout cela pour t'impres-sionner? »
Sunida baissa la tête. « Mon Seigneur.
— Continue », dit Phaulkon d'une voix soudain dure.
Il savait qu'il n'était pas le premier dans la vie de Sunida, mais jamais
encore il ne s'était trouvé confronté à cette idée. Cela le troublait.
« Son Excellence avait besoin du cordage spécial que les
farangs hollandais gardent dans leur entrepôt. Mon oncle est un bouddhiste
dévot qui a un grand respect pour la vie humaine. Il a convaincu le farang
hollandais que, si celui-ci l'aidait à sauver le navire anglais et s'il y avait
vraiment de la contrebande à bord, on demanderait à tous les farangs anglais au
Siam de partir. Après cela, le farang hollandais s'est mis en quatre pour
sauver les hommes qui se noyaient. »
Phaulkon écoutait d'une oreille distraite. Ses pensées
revenaient sans cesse au Palat. Qu'avait voulu dire Sunida en racontant qu'il
s'intéressait à elle ? Cela signifiait-il... Son regard se durcit.
Sunida remarqua son changement d'expression. «
Pardonnez-moi, mon Seigneur, si je vous ai offensé », ajouta-t-elle en se
prosternant.
Phaulkon se domina. Que lui arrivait-il? Pourquoi
était-il à ce point affecté ? Il ne se rappelait pas s'être auparavant autant
laissé emporter par les émotions. Puis il vit l'air consterné de la jeune femme
et sentit son cœur fondre. Malgré ses douleurs et ses courbatures, il la prit
dans ses bras. Discrètement, il respira la peau de ses joues et de ses épaules.
« Oh, mon Seigneur », murmura-t-elle doucement. Il l'attira jusqu'au matelas.
Elle se débarrassa de son panung et vint s'allonger auprès de lui. Elle ferma
les yeux et s'abandonna totalement à lui. Il la prit dans ses bras et lui fit
l'amour avec plus de tendresse et de douce passion qu'il n'en avait jamais
connu de toute sa vie.
Prosterné, le Palat tendit au gouverneur le rapport de
Phaulkon.
« Tu es sûr qu'on peut le cacheter de nouveau sans qu'on
s'en aperçoive? demanda Son Excellence.
— Tout à fait sûr, Excellence.
— Bien. Tu peux aller maintenant.
— Puissant Seigneur, je reçois vos ordres », dit-il.
Et il rampa discrètement hors de vue.
Au rapport rédigé sur du parchemin de riz était jointe
une lettre d'introduction. Le gouverneur commença à la parcourir et, à chaque
ligne, il ouvrait plus grands les yeux. La missive était adressée à sa Très
Haute Excellence, le Pra Klang, ministre royal des Affaires étrangères et du
Trésor, à Ayuthia. Elle était datée de ce douzième mois, du vingtième jour
après la pleine lune de l'année de la Grande Jument. Le rapport
Weitere Kostenlose Bücher