Le faucon du siam
portait la
mention « confidentiel ».
Votre Excellence, moi qui ne suis qu'un grain de
poussière, j'ai l'honneur de présenter le rapport sur mes découvertes dans la
province royale de Ligor.
Humble grain de poussière, je dois à mon grand regret
commencer par infonner Votre Excellence qu 'à la suite d'un regrettable
malentendu, le gouverneur de cette province a jugé bon de me retenir ici : je
ne pourrai donc reprendre mon service au ministère avant que Votre Excellence
ait eu la bonté de régler cet incident. Moi, la poussière de vos pieds, déplore
infiniment cette absence qui n'est pas de mon fait, et je supplie Votre
Excellence de comprendre les circonstances.
Suivant les instructions explicites de Votre
Excellence, j'ai nié l'existence des canons après le naufrage. Mais, quand on a
fini par les découvrir, Votre Excellence comprendra que je ne pouvais guère
faire autrement que révéler la vérité. Malgré mon aveu et sans tenir compte du
fait qu'il venait de me décerner la plus haute distinction de sa province, le
gouverneur n'était pas disposé à me croire.
Le gouverneur pâlit et poursuivit sa lecture.
L'Honorable Gouverneur est, à tous autres égards, un
administrateur si sage et si bienveillant que je dois avouer être déconcerté
par une erreur de jugement aussi flagrante. En dépit de ma détention, je n'en
veux pas au gouverneur et, si Votre Excellence accepte de pardonner tant de
présomption à son esclave, j'ai même envisagé d'offrir le canon en cadeau au
gouverneur. À mon avis, Son Excellence devrait apprécier ce geste pour deux raisons
: tout d'abord, un seul canon ne suffirait pas à lui tout seul pour anéantir
les rebelles pattanis. Ensuite, en l'offrant au gouverneur comme cadeau de la
Compagnie anglaise, cela pourrait être une leçon pour les impudents Hollandais.
Enfin, Excellence, moi, un grain de poussière sur
votre pied, je joins un rapport sur mes découvertes dans la province tout en
assurant Votre Excellence que mon plus cher désir est de regagner mon poste le
plus vite possible pour servir ce pays que j'aime si fort. Puisse le Seigneur
Bouddha et Votre Haute Excellence pardonner au gouverneur son erreur de
jugement.
Le gouverneur était dans un état de grande agitation. Les
termes employés pour s'adresser à un personnage d'un rang aussi élevé étaient
impeccables. Comment un farang pouvait-il donc les connaître à moins d'avoir
l'habitude de s'adresser fréquemment à lui ? se demanda-t-il avec quelque
nervosité.
Il passa alors au rapport proprement dit, qui contenait
un compte rendu du naufrage ainsi que de la découverte du canon. Venait ensuite
une description remarquablement détaillée de tout ce que le farang avait
observé à Ligor depuis son arrivée : la satisfaction des habitants, l'état du
marché, l'importance des paris lors de la réunion de boxe et le respect dans
lequel on tenait en général le gouverneur.
Le mandarin reprit la page d'une main plus ferme et relut
le paragraphe précédent. Ce n'était pas possible! Oh Seigneur Bouddha, le
farang était-il on ne sait comment parvenu à obtenir cette information du
Palat? Car seul le Palat était au courant. Mais comment s'y était-il pris?
Après la description de la cérémonie dans la cour où les
pêcheurs avaient mimé le sauvetage du farang, on trouvait un compte rendu
précis de la discussion qui s'en était suivie entre le Hollandais et le
gouverneur à propos du sort des Anglais. Le farang hollandais était d'avis de
les laisser se noyer, mais le gouverneur avait protesté. Le rapport montrait
sans équivoque que c'était le gouverneur qui avait insisté pour sauver la vie
des farangs anglais. Stupéfiant ! Pour la première fois, le gouverneur
commençait à croire sérieusement au récit de Phaulkon. D'ailleurs, le canon
serait un spectacle imposant dans sa cour. Aucune autre province ne pourrait
prétendre à un tel prestige.
« Kling! » appela-t-il.
Le Palat accourut à quatre pattes. « Puissant Seigneur,
je reçois vos ordres.
— As-tu parlé à l'un des farangs?
— La poussière de vos pieds est incapable de
converser dans leur langue, Excellence.
— Et celui qui parle siamois?
— Moi, un grain de poussière, n'ai pas eu l'occasion
de lui adresser la parole depuis qu'on a découvert qu'il connaissait notre
langue, Excellence.
— Comment alors pourrait-il connaître les détails du
sauvetage sur la plage ? » Le gouverneur désigna le rapport en
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