Le feu de satan
soleil, prêts à s’enfuir à la vue du moindre dizainier {17} . Éclopés, baladins, sicaires, coupe-bourses et tire-laine se regroupaient à l’affût de proies faciles. Marchands et apprentis, arborant les couleurs de leur guilde, avaient relevé leurs étals et tentaient, bouche bée, d’apercevoir leur noble souverain.
Et de fait Édouard avait tout du Prince Triomphant : un cercle d’or sur ses cheveux gris acier, il avait, sur l’insistance de Corbett, revêtu un haubert sous son surcot de samit doré. Il montait son grand destrier, Bayard le Noir, dont la selle et le harnais étaient de cuir pourpre foncé bordé d’argent. Il caracolait avec aisance, une main tenant les rênes, l’autre supportant un magnifique faucon, blanc comme neige, venu de Paris. A ses côtés, John de Warrenne, comte de Surrey, en simple cotte de mailles, brandissait l’étendard personnel du roi – lion d’or rampant sur champ de gueules. Corbett chevauchait juste derrière son souverain. Rongé par l’inquiétude et la nervosité, il surveillait la foule et les fenêtres ouvertes de chaque côté de la rue. De temps à autre, il portait la main à sa dague et jetait des regards anxieux à Ranulf, près de lui. Ce dernier, cependant, pensait surtout à lancer baisers et sourires aux filles et épouses des bourgeois. Le cortège s’arrêtait souvent et les hérauts d’armes aux cabars {18} chamarrés sonnaient de leurs trompettes d’argent avant de poursuivre leur chemin derrière les bannières aux armes d’Angleterre, d’Écosse, du pays de Galles, de France et de Castille.
Au coin de Trinity, le monarque assista à un mystère, une scène tirée du Jugement dernier. Une épaisse tenture, prêtée par la guilde de la Fête-Dieu, était tendue entre deux grands poteaux plantés sur un châssis que l’on avait installé sur trois larges chariots. Peinte de couleurs criardes, elle représentait le sort qui attendait les pécheurs. Les juristes, auteurs de lois iniques, étaient enveloppés de capes de soufre brûlant, tandis que les avocats véreux subissaient le supplice du pal et de la roue. Édouard ricana en voyant un démon à face de singe conduire un groupe de moines tonsurés vers un chaudron bouillonnant, plein de serpents venimeux.
Devant l’estrade improvisée, un groupe de jeunes femmes, en chaperon vert et toutes de blanc vêtues, entonnèrent un doux chant de bienvenue. Le roi l’écouta attentivement en caressant la tête du faucon. Puis il lança quelques pièces d’argent au pied de la scène, embrassa l’une des jeunes filles et ordonna d’avancer. Ranulf voulut l’imiter, bien sûr : il agrippa le bras d’une jouvencelle, ce qui lui valut des regards courroucés de la part de son maître.
Ils venaient de tourner dans Trinity, lorsque, soudain, un carreau d’arbalète siffla aux oreilles de Corbett, passant entre lui et le roi. Un homme d’escorte lâcha sa lance et s’effondra en hurlant et en s’étouffant avec le sang qui jaillissait de sa bouche. Se hissant sur ses étriers, Corbett cria ses ordres : les gardes s’élancèrent et, sur les instructions du magistrat et du comte, formèrent, autour du roi, un rempart d’acier de leurs boucliers. Corbett scruta les maisons alentour.
— Là-bas ! s’écria Ranulf.
Le garde du Sceau privé se tourna dans la direction indiquée : la fenêtre du dernier étage d’une taverne, à l’angle d’une venelle. Il vit le battant et la croisée s’ouvrir derechef et la gueule trapue d’une arbalète apparaître près d’une silhouette encapuchonnée et tapie. Il entendit alors un nouveau vrombissement évoquant le piqué d’un faucon, mais, cette fois, le trait s’écrasa contre l’un des boucliers.
— Suivez-moi ! lança Corbett.
Il sauta à terre en dégainant son épée et, Ranulf et Maltote sur ses talons, se fraya un chemin dans la foule sans se préoccuper du tumulte. Ils atteignirent l’ombre des maisons. Corbett leva les yeux et jura : il avait perdu la fenêtre de vue. Mais il repéra l’angle de la venelle. Un mendiant, coiffé d’un chaperon, s’y tenait accroupi, la main tendue. Corbett le bouscula et se rua dans l’entrée sous l’enseigne bigarrée qui se balançait à la perche à houblon. Criant à Ranulf d’aller surveiller la porte de derrière dans la venelle, il pénétra dans le couloir obscur et exigu. Les gens présents – servantes, garçons et filles d’auberge pour la plupart – ne
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