Le feu de satan
de vous rasseoir, leur enjoignit John de Warrenne. Dégainer son épée ou sa dague en présence du roi est acte de haute trahison.
— J’ai entendu parler de ce qui s’est passé à Paris, déclara le grand maître. Et tant que les faits ne seront pas avérés, je les considère comme des rumeurs mensongères. Quelles preuves avance le seigneur de Craon pour étayer ses affirmations ?
— Des preuves difficiles à réfuter, intervint Édouard. D’abord, le jour de la tentative d’assassinat contre Philippe, on a vu un soldat portant la livrée du Temple s’enfuir du bois de Boulogne. Puis, les templiers ont des commanderies à Londres et à Paris et ils connaissent le rituel des Assassins : les dagues, la soie écarlate, la galette de sésame et le message à trois phrases. Ensuite, enchaîna le monarque en se redressant sur son siège et en tendant un doigt autoritaire vers Jacques de Molay, vous savez pertinemment que de nombreux templiers – dont certains siègent peut-être à cette table – sont convaincus que l’ordre fut refoulé de Terre sainte parce que les monarques chrétiens ne l’ont pas suffisamment soutenu. Et enfin, conclut-il en regardant le plafond, je dirai ceci : il y a trente ans, les Assassins tentèrent de me tuer. Ils échouèrent. Je fracassai le crâne de mon assaillant avec un escabeau. Peu de gens ont eu vent de cet incident. La plupart des seigneurs qui m’accompagnaient alors sont morts à l’heure actuelle, mais les templiers, eux, sont au courant.
— Y a-t-il d’autres problèmes ? questionna le grand maître d’une voix lasse.
Corbett prit la parole d’un ton égal, sans tenir compte de l’animosité provoquée par ses remarques.
— Depuis le règne du père de notre souverain, le Temple possède le manoir de Framlingham, sur la route d’York, au-delà de Botham Bar. En général, ce sont des régisseurs et des casaliers {13} qui s’en occupent, mais, ces deux dernières semaines, depuis l’arrivée de Vos Seigneuries à York, on nous a signalé d’étranges événements : des feux dans les bois, en pleine nuit, ou encore certains passages ou salles strictement interdits...
— Absurde ! l’interrompit Branquier. Nous appartenons à un ordre de chevalerie et obéissons à des rituels bien précis. Comme nous formons une communauté fermée, il n’est pas question de divulguer nos secrets au premier venu, de la même façon que ni vous ni le roi ne permettez au commun de déambuler dans la Chancellerie de Westminster ou la salle du Trésor, dans la Tour.
— Il y a d’autres faits troublants, poursuivit Corbett. Sir Richard Branquier, vous nous avez montré une pièce d’or qui ne pouvait provenir des ateliers de la Couronne. Or, ne vous en déplaise, ces pièces sont apparues le mois dernier au moment où vous et vos compagnons décidiez de demeurer à Framlingham.
Les commandeurs nièrent avec force, frappant la table du poing pour souligner leurs vigoureuses protestations. Le grand maître resta de marbre. Il tapait doucement dans ses mains en arborant cette parfaite maîtrise de soi qui avait fait la renommée des templiers.
— Finissez-en, Sir Hugh ! déclara-t-il, l’air résigné. De quoi d’autre nous accuse-t-on ? Pas de l’étrange mort sur la route d’York, j’espère !
Corbett esquissa un faible sourire.
— Je vous remercie de le mentionner ! Deux bénédictines, soeur Cecilia et soeur Marcia, accompagnées de leur guide, Thurston, se sont présentées devant le maire et les échevins d’York. Ils ont déclaré sous serment qu’aux abords de la ville, un cheval emballé, transportant la partie inférieure d’un corps, avait déboulé près d’eux et qu’en poursuivant leur chemin ils avaient découvert un cadavre étrangement consumé par un feu dont ils ne purent déterminer l’origine.
— Oui, nous en avons entendu parler, concéda Baddlesmere. L’histoire a fait le tour d’York. L’homme était totalement méconnaissable par suite de ses brûlures.
— Ce n’est pas tout à fait exact, rectifia le magistrat. Seul son tronc était dévoré par le feu, la partie inférieure de son corps ainsi que les jambes...
Il haussa les épaules.
— Vous devinez la suite. Ce qui est bizarre, c’est que personne ne l’a identifié et que nul ne connaît son assassin ou le motif du crime, ni même la cause de ce mystérieux embrasement.
— Je proteste ! s’exclama Branquier en se tournant vers
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