Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
Vom Netzwerk:
par moment des frissonnements de froid, où grouille la vermine et où l'entassement des pauvres vivants entretient un vague relent de sarcophage… Marthereau me regarde ; il entend encore, comme moi, l'anonyme soldat qui a dit : « Guillaume est une bête puante, mais Napoléon est un grand homme », et qui célébrait l'ardeur guerrière du petit qui restait encore. Il laisse tomber ses bras, hoche sa tête lassée – et la lumière légère jette sur la cloison l'ombre de ce double geste, en fait une brusque caricature.
    – Ah ! dit mon humble compagnon, nous sommes tous des pas mauvais types, et aussi, des malheureux et des pauv' diables. Mais nous sommes trop bêtes, nous sommes trop bêtes !
    Il tourne à nouveau son regard sur moi. Dans sa face toute plantée de poils, dans sa face de barbet, on voit luire deux beaux yeux de chien qui s'étonne, songe, très confusément encore, à des choses, et qui, dans la pureté de son obscurité, se met à comprendre.
    On sort de l'abri inhabitable. Le temps s'est un peu adouci : la neige a fondu et tout s'est resali.
    – L'vent a léché l'sucre, dit Marthereau.
    Je suis désigné pour accompagner Joseph Mesnil au Poste de Secours des Pylônes. Le sergent Henriot me donne livraison du blessé et me remet le billet d'évacuation.
    – Si vous rencontrez Bertrand en route, nous dit Henriot, faudrait voir d'avoir à y dire de s'grouiller, hé ? Bertrand est parti en liaison cette nuit et on l'attend depuis une heure – même que l'vieux s'impatiente et parle de s'foutre en colère d'un moment à l'autre.
    Je m'achemine avec Joseph qui, un peu plus pâle que de coutume et toujours taciturne, marche tout doucement. De temps en temps, on le voit s'arrêter, la figure crispée. Nous suivons les boyaux.
    Un bonhomme paraît tout d'un coup. C'est Volpatte, qui dit :
    – J'vais aller avec vous jusqu'au bas de la côte.
    Désœuvré, il manie une magnifique canne torse et secoue dans sa main comme des castagnettes la précieuse paire de ciseaux qui ne lui quitte jamais.
    Nous sortons tous trois du boyau quand la pente du terrain permet de le faire sans danger de balles – puisque le canon ne donne pas. Aussitôt dehors, nous heurtons un rassemblement. Il pleut. À travers les jambes lourdes plantées comme des arbres tristes, dans la brume, sur la plaine bise, on aperçoit un mort.
    Volpatte se faufile jusqu'à la forme horizontale autour de laquelle attendent ces formes verticales. Alors, il se retourne violemment et nous crie :
    – C'est Pépin !
    – Ah ! dit Joseph qui est déjà presque défaillant.
    Il s'appuie sur moi. Nous nous approchons. Pépin, allongé, a les pieds et les mains tendus, crispés, et sa figure sur qui coule la pluie est tuméfiée, talée et affreusement grise.
    Un homme qui tient une pioche et dont la face en sueur est pleine de petites tranchées noirâtres, nous raconte la mort de Pépin :
    – L'était entré dans une calebasse où des Boches s'étaient planqués. Et v'là qu'on ne l'savait pas et qu'on a enfumé la niche pour nettoyer, et l'pauv' petit frère, on l'a r'trouvé après l'opération, crampsé, et tout étiré comme un boyau d'chat, au milieu de la viande des Boches qu'il avait saignés avant – et bien proprement saignés, j'peux l'dire, moi que j'suis établi boucher dans la banlieue parisienne.
    – Un de moins à l'escouade ! dit Volpatte, tandis que nous nous en allons.
    Nous nous trouvons maintenant en haut du ravin, à l'endroit où commence le plateau que notre charge a parcouru éperdument, hier au soir, et qu'on ne reconnaît pas.
    Cette plaine, qui m'avait alors donné l'impression d'être toute de niveau et qui, en réalité, se penche, est un extraordinaire charnier. Les cadavres y foisonnent. C'est comme un cimetière dont on aurait enlevé le dessus.
    Des bandes le parcourent, identifiant les morts de la veille et de la nuit, retournant les restes, les reconnaissant à quelque détail, malgré leurs figures. Un de ces chercheurs, agenouillé, retire de la main d'un mort une photographie déchiquetée, effacée, un portrait tué.
    Des fumées noires d'obus montent en volutes, puis détonent sur les horizons, au loin ; des armées de corbeaux balayent le ciel de leur vaste geste pointillé.
    En bas, parmi la multitude des immobiles, voici, reconnaissables à leur usure et leur effacement, des zouaves, des tirailleurs et des légionnaires de l'attaque de mai. L'extrême bord de nos lignes se

Weitere Kostenlose Bücher