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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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pour souffler, sur les rotondités d'un sac de terre qui dépasse l'alignement, et pose ses grenades à ses pieds. Il s'essuie le nez du revers de sa manche.
    – Quoi qu'vous v'nez faire par ici ? On vous l'a dit ?
    – Plutôt qu'on nous l'a dit : nous v'nons pour attaquer. On va là-bas, jusqu'au bout.
    De la tête, il indique le nord.
    La curiosité qui les contemple s'accroche à un détail :
    – Vous avez emporté tout vot' bordel ?
    – Nous avons mieu' aimé l'garder, et voilà.
    – En avant ! leur commande-t-on.
    Ils se lèvent et s'avancent, mal réveillés, les yeux bouffis, les rides soulignées. Il y a des jeunes au cou mince et aux yeux vides, et des vieux, et, au milieu, des hommes ordinaires. Ils marchent d'un pas ordinaire et pacifique. Ce qu'ils vont faire nous semble, à nous qui l'avons fait la veille, au-dessus des forces humaines. Et pourtant ils s'en vont vers le nord.
    – Le réveil des condamnés, dit Marthereau.
    On s'écarte devant eux, avec une espèce d'admiration et une espèce de terreur.
    Quand ils sont passés, Marthereau hoche la tête et murmure :
    – De l'aut' côté, y en a qui s'apprêtent aussi, avec leur uniforme gris. Tu crois qu'i's s'en ressentent pour l'assaut, ceux-là ? T'es pas fou ? Alors, pourquoi qu'i' sont venus ? C'est pas eux, j'sais bien, mais c'est euss tout de même pisqu'ils sont ici… J'sais bien, j'sais bien, mais tout ça, c'est bizarre.
    La vue d'un passant change le cours de ses idées :
    – Tiens, v'la Truc, Machin, l'grand, tu sais ? C'qu'il est immense, c'qu'il est pointu, c't'être-là ! Tant qu'à moi, j'sais bien que j'suis pas grand tout à fait assez, mais lui, i' va trop haut. Il est toujours au courant de tout, c'double-mètre ! Comme savement de tout, y en a pas un qui fasse la grille. On va y demander pour une cagna.
    – S'il y a des gourbis ? répond le passant surélevé en se penchant sur Marthereau comme un peuplier. Pour sûr, mon vieux Caparthe. Y a qu'ça. Tiens, là – et déployant son coude, il fait un geste indicateur de télégraphe à signaux – Villa von Hindenburg, et ici, là : Villa Glücks auf. Si vous n'êtes pas contents, c'est qu'ces messieurs sont difficiles. Y a p't'êtr' quéqu' locataires dans l'fond, mais de locataires pas remuants, et tu peux parler tout haut d'vant eux, tu sais !
    – Ah ! nom de Dieu !… s'écria Marthereau un quart d'heure après que nous fûmes installés dans un de ces fosses équarries, y a des locataires qu'i' nous disait pas, c't'affreux grand paratonnerre, c't'infini !
    Ses paupières se fermaient, mais se rouvraient, et il se grattait les bras et les flancs.
    – J'ai la lourde ! Pourtant, pour ronfler, c'est pas vrai. C'est pas résistable.
    Nous nous mîmes à bâiller, à soupirer, et finalement nous allumâmes un petit bout de bougie qui résistait, mouillé, bien qu'on le couvât des mains. Et nous nous regardâmes bâiller.
    L'abri allemand comprenait plusieurs compartiments. Nous étions contre une cloison de planches mal ajustées et, de l'autre côté, dans la cave n°2, des hommes veillaient aussi : on voyait de la lumière filtrer dans les interstices des planches, et on entendait des voix bruisser.
    – C'est de l'autre section, dit Marthereau.
    Puis on écouta, machinalement.
    – Quand j'suis t'été en permission, bourdonnait un invisible parleur, on a été triste d'abord, parce qu'on pensait à mon pauv' frère qu'a disparu en mars, mort sans doute, et à mon pauv' petit Julien, de la classe 15, qu'a été tué aux attaques d'octobre. Et puis, peu à peu, elle et moi, on s'est remis à être heureux d'être ensemble, que veux-tu ? Not' petit loupiot, le dernier, qui a cinq ans, nous a bien distraits. I' voulait jouer au soldat avec moi. J'y ai fabriqué un petit flingot. J'y ai expliqué les tranchées, et lui, tout freluquant de joie comme un z'oiseau, i'm'tirait d'ssus en gueulant. Ah ! le sacré p'tit mec, il en mettait ! ça fera un fameux poilu plus tard. Mon vieux, il a tout à fait l'esprit militaire !
    Silence. Ensuite vague brouhaha de conversation au milieu desquelles on entend le mot de : « Napoléon », puis une autre voix – ou la même – qui dit :
    – Guillaume, c'est une bête puante d'avoir voulu c'te guerre. Mais Napoléon, ça, c'est un grand homme !
    Marthereau est à genoux devant moi dans le chétif et étroit rayonnement de notre chandelle, au fond de ce trou obscur et mal bouché où passent

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