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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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par les épaules. Il se laisse faire et, assis à la base du mur, attend patiemment avec sa résignation d'employé, comme dans une salle d'attente.
    Je m'échoue un peu plus loin, dans un vide. Là, deux hommes étendus se parlent bas ; ils sont si près de moi que je les entends sans les écouter. Ce sont deux soldats de la légion étrangère, au casque et à la capote jaune sombre.
    – C'est pas la peine de bonimenter, gouaille l'un d'eux. J'vas y rester, à cette fois-ci. C'est couru : j'ai l'intestin traversé. Si j'étais dans un hôpitau, dans une ville, on m'opérerait à temps et ça pourrait coller. Mais ici ! C'est hier que j'ai été attigé. On est à deux ou trois heures de la route de Béthune, pas, et d'la route, y a combien d'heures, dis voir, pour une ambulance où on peut opérer ? Et pis, quand nous ramassera-t-on ? C'est d'la faute à personne, tu m'entends, mais faut voir c'qui est. Oh ! de ce moment-ci, j'sais bien, ça ne va pas plus mal que ça. Seul'ment, voilà, c'est forcé de n'pas durer, pisque j'ai un trou tout du long dans l'paquet de mes boyaux. Toi, ta patte se r'mettra, ou on t'en r'mettra une autre. Moi, j'vais mourir.
    – Ah ! dit l'autre, convaincu par la logique de son interlocuteur.
    Celui-ci reprend alors :
    – Écoute, Dominique, t'as eu une mauvaise vie. Tu picolais et t'avais l'vin mauvais. T'as un sale casier judiciaire.
    – J'peux pas dire que c'est pas vrai puisque c'est vrai, dit l'autre. Mais qu'est-ce que ça peut t'faire ?
    – T'auras encore une mauvaise vie après la guerre, forcément, et pis t'auras des ennuis pour l'affaire du tonnelier.
    L'autre, sauvage, devient agressif :
    – La ferme ! Qu'est-ce que ça peut t'foutre ?
    – Moi, j'ai pas plus d'famille que toi. Personne, que Louise qui n'est pas d'ma famille vu qu'on n'est pas mariés. Moi, j'ai pas d'condamnations en dehors de quéqu' bricoles militaires. Y a rien sur mon nom.
    – Et pis après ? j'm'en fous.
    – J'vas te dire : prends mon nom. Prends-le, j'te l'donne : pisqu'on n'a pas d'famille ni l'un ni l'autre.
    – Ton nom ?
    – Tu t'appelleras Léonard Carlotti, voilà tout. C'est pas une affaire. Qu'est-ce que ça peut t'fiche ? Du coup, tu n'auras pus d'condamnation. Tu ne s'ras pas traqué, et tu pourras être heureux comme je l'aurais été si c'te balle ne m'avait pas traversé le magasin.
    – Ah ! merde alors, dit l'autre, tu f'raîs ça ? Ça, ben, mon vieux, ça m'dépasse !
    – Prends-le. Il est là dans mon livret, dans ma capote. Allons, prends, et Passe-moi l'tien, d'livret – que j'emporte tout ça avec moi ! Tu pourras vivre où tu voudras, sauf chez moi où on m'connaît un peu, à Longueville, en Tunisie. Tu t'rappelleras et pis, c'est écrit. Faudra le lire, c'livret. Moi, je l'dirai à personne : pour que ça réussisse, ces coups-là, il faut motus absolu.
    Il se recueille, puis il dit avec un frémissement :
    – Je l'dîrai peut-êt' tout de même à Louise, pour qu'elle trouve que j'ai bien fait et qu'elle pense mieux à moi – quand je lui écrirai pour lui dire adieu.
    Mais il se ravise et secoue la tête dans un effort sublime :
    – Non, j'y dirai pas, même à elle. J'sais bien que c'est elle, mais les femmes sont si bavardes !
    L'autre le regarde et répète :
    – Ah ! nom de Dieu !
    Sans être remarqué par les deux hommes, j'ai quitté le drame qui se déchaîne à l'étroit dans ce lamentable coin tout bousculé par le passage et le vacarme.
    J'effleure la conversation calmée, convalescente, de deux pauvres hères :
    – Ah ! mon vieux, c'goût qu'il a pour sa vigne ! Tu trouv'rais pas rien entre chaque pied…
    – C'petiot, c'tout petiot, quand j'sortais avec lui et que j'y tenais sa p'tite pogne, je m'faisais l'effet de tenir le p'tit cou tiède d'une hirondelle, tu sais ?
    Et à côté de cette sentimentalité qui s'avoue, voici, en passant, toute une mentalité qui se révèle :
    – Le 547 e , si je l'connais ! Plutôt. Écoute : c'est un drôle de régiment. Là d'dans, t'as un poilu qui s'appelle Petitjean, et un autre Petitpierre, et un autre Petitlouis… Mon vieux, c'est tel que j'te dis. V'là c'que c'est qu'ce régiment-là.
    Tandis que je commence à me frayer un passage pour sortir du bas-fond, il se produit là-bas un grand bruit de chute et un concert d'exclamations.
    C'est le sergent infirmier qui est tombé. Par la brèche qu'il déblayait de ses débris mous et sanglants, une balle

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