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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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    Plusieurs mutilés, en même temps, sans se voir, communient dans un hochement de tête de négation.
    – Vous avez raison, dit un autre, vous avez raison.
    Ces hommes en débris, ces vaincus isolés et épars dans la victoire, ont un commencement de révélation. Il y a, dans la tragédie des événements, des minutes où les hommes sont non seulement sincères, mais véridiques, et où on voit la vérité sur eux, face à face.
    – Moi, fit un nouvel interlocuteur, si je n'y crois pas, c'est…
    Une quinte de toux terrible continua affreusement la phrase. Quand il s'arrêta de tousser, les joues violettes, mouillé de larmes, oppressé, on lui demanda :
    – Par où c'que t'es blessé, toi ?
    – J'suis pas blessé, j'suis malade.
    – Oh alors ! dit-on, d'un accent qui signifiait : tu n'es pas intéressant.
    Il le comprit et fit valoir sa maladie :
    – J'suis foutu. J'crache le sang. J'ai pas d'forces ; et, tu sais, ça r'vient pas quand ça s'en va par là.
    – Ah, ah, murmurèrent les camarades, indécis, mais convaincus malgré tout de l'infériorité des maladies civiles sur les blessures.
    Résigné, il baissa la tête et répéta tout bas, pour lui-même :
    – J'peux pus marcher, où veux-tu que j'aille ?
    Dans le gouffre horizontal qui, de brancard en brancard, s'allonge en se rapetissant, à perte de vue, jusqu'au blême orifice de jour, dans ce vestibule désordonné où çà et là clignotent de pauvres flammes de chandelles qui rougeoient et paraissent fiévreuses, et où se jettent de temps en temps des ailes d'ombres, un remous s'élève on ne sait pourquoi. On voit s'agiter le bric-à-brac des membres et des têtes, on entend des appels et des plaintes se réveiller l'un l'autre, et se propager, tels des spectres invisibles. Les corps étendus ondulent, se replient, se retournent.
    Je distingue, dans cette espèce de bouge, au sein de cette houle de captifs, dégradés et punis par la douleur, la masse épaisse d'un infirmier dont les lourdes épaules tanguent comme un sac porté transversalement, et dont la voix de stentor se répercute au galop dans la cave :
    – T'as encore touché à ton bandage, enfant d'veau, verminard ! tonitrue-t-il. J'vas te l'refaire parce que c'est toi, mon coco, mais, si tu y r'touches, tu verras ce que je te ferai !
    Le voici dans la grisaille, qui tourne une bande de toile autour du crâne d'un bonhomme tout petit, presque debout, porteur de cheveux hérissés et d'une barbe soufflée en avant, et qui, les bras ballants, se laisse faire en silence.
    Mais l'infirmier l'abandonne, regarde à terre et s'exclame avec retentissement :
    – Qu'est-ce que c'est que d'ça ? Eh, dis donc, l'ami, t'es pas des fois maboule ? En voilà des manières, de s'coucher sur un blessé !
    Et sa main volumineuse secoue un corps, et il dégage, non sans souffler et sacrer, un second corps flasque sur lequel le premier s'était étendu comme sur un matelas – tandis que le nabot au bandage, aussitôt laissé libre, sans mot dire, porte les mains à sa tête et essaie à nouveau d'ôter le pansement qui lui enserre le crâne.
    …Une bousculade, des cris : des ombres, perceptibles sur un fond lumineux, paraissent extravaguer dans l'ombre de la crypte. Ils sont plusieurs, éclairés par une bougie autour d'un blessé, et, secoués, le maintiennent à grand-peine sur son brancard. C'est un homme qui n'a plus de pieds. Il porte aux jambes des pansements terribles, avec des garrots pour réfréner l'hémorragie. Ses moignons ont saigné dans les bandelettes de toile et il semble avoir des culottes rouges. Il a une figure de diable, luisante et sombre, et il délire. On pèse sur ses épaules et ses genoux : cet homme qui a les pieds coupés veut sauter hors du brancard pour s'en aller.
    – Laissez-moi partir ! râle-t-il d'une voix que la colère et l'essoufflement font chevroter – basse avec de soudaines sonorités comme une trompette dont on voudrait sonner trop doucement. Bon Dieu, laissez-moi m'barrer, que j'vous dis. Han !… Non, mais vous n'pensez pas que j'vas rester ici ! Allons, dégagez, ou je vous saute sur les pattes !
    Il se contracte et se détend si violemment qu'il fait aller et venir ceux qui tentent de l'immobiliser par leur poids cramponné, et on voit zigzaguer la bougie tenue par un homme à genoux qui, de l'autre bras, ceinture le fou tronqué ; et celui-ci crie si fort qu'il réveille ceux qui dorment, secoue

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