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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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lumineusement la ligne obscure des faiseurs de tranchées. Puis une autre, puis une autre.
    Des balles déchirent l'air autour de nous. On entend crier :
    – Un blessé !
    Il passe soutenu par des camarades ; il semble même qu'il y a plusieurs blessés. On entrevoit ce paquet d'hommes qui se traînent l'un l'autre, et s'en vont.
    L'endroit devient mauvais. On se baisse, on s'accroupit. Quelques-uns grattent la terre à genoux. D'autres travaillent allongés, peinent et se tournent et retournent, comme ceux qui ont des cauchemars. La terre, dont la première couche nous fut légère à enlever, devient glaiseuse et collante, est dure à manier et adhère à l'outil comme du mastic. Il faut, à chaque pelletée, racler le fer de la bêche.
    Déjà serpente une maigre bosselure de déblais, et chacun se donne l'impression de renforcer cet embryon de talus avec sa musette et sa capote roulée, et se pelotonne derrière ce mince tas d'ombre lorsqu'une rafale arrive…
    On transpire quand on travaille ; dès qu'on s'arrête, on est transpercé de froid. Aussi est-on obligé de vaincre la douleur de la fatigue et de reprendre la tâche.
    Non, on n'aura pas fini… La terre devient de plus en plus lourde. Un enchantement semble s'acharner contre nous et nous paralyser les bras. Les fusées nous harcèlent, nous font la chasse, ne nous laissent pas remuer longtemps ; et, après que chacune d'elles nous a pétrifiés dans sa lumière, nous avons à lutter contre une besogne plus rétive. C'est avec une lenteur désespérante, à coup de souffrances, que le trou descend vers les profondeurs.
    Le sol s'amollit, chaque pelletée s'égoutte et coule, et se répand de la pelle avec un bruit flasque. Quelqu'un, enfin, crie :
    – Y a d'la flotte !
    Ce cri se répercute et court tout le long de la rangée de terrassiers.
    – Y a d'la flotte. Rien à faire !
    – L'équipe où est Mélusson a creusé plus profond, et c'est de l'eau. On arrive à une mare.
    – Rien à faire.
    On s'arrête, dans le désarroi. On entend, au sein de la nuit, le bruît des pelles et des pioches qu'on jette comme des armes vides. Les sous-officiers cherchent à tâtons l'officier pour réclamer des instructions. Et, par places, sans en demander davantage, des hommes s'endorment délicieusement sous la caresse de la pluie et sous les fusées radieuses…
    C'est à peu près à ce moment autant qu'il me souvient – que le bombardement a commencé.
    Le premier obus est arrivé dans un craquement terrible de l'air, qui a paru se déchirer en deux, et d'autres sifflements convergeaient déjà sur nous lorsque son explosion souleva le sol vers la tête du détachement au sein de la grandeur de la nuit et de la pluie, montrant des gesticulations sur un brusque écran rouge.
    Sans doute, à force de fusées, ils nous avaient vus et avaient réglé leur tir sur nous…
    Les hommes se précipitèrent, se roulèrent vers le petit fossé inondé qu'ils avaient creusé. On s'y inséra, on s'y baigna, on s'y enfonça, en disposant les fers des pelles au-dessus des têtes. À droite, à gauche, en avant, en arrière, des obus éclatèrent, si proches, que chacun nous bousculait et nous secouait dans notre couche de terre glaise. Ce fut bientôt un seul tremblement continu qui agitait la chair de ce morne caniveau bondé d'hommes et écaillé de pelles, sous des couches de fumée et des chutes de clarté. Les éclats et les débris se croisaient dans tous les sens avec leur réseau de clameurs, sur le champ ébloui. Il ne s'est pas passé une seconde que tous n'aient pensé ce que quelques-uns balbutiaient la face par terre :
    – On est foutu, c'coup-ci.
    Une forme, un peu en avant de l'endroit où je suis, s'est soulevée et a crié :
    – Allons-nous-en !
    Des corps qui gisaient s'érigèrent à moitié hors du linceul de boue qui, de leurs membres, coulaient en pans, en lambeaux liquides, et ces spectres macabres crièrent :
    – Allons-nous-en !
    On était à genoux, à quatre pattes ; on se poussait du côté de la retraite.
    – Avancez ! Allons, avancez !
    Mais la longue file resta inerte. Les plaintes frénétiques des crieurs ne la déplaçaient pas. Ceux qui étaient, là-bas, au bout, ne bougeaient pas et leur immobilité bloquait la masse.
    Des blessés passèrent par-dessus les autres, rampant sur eux comme sur des débris, et ces blessés ont arrosé toute la compagnie de leur sang.
    On apprit enfin la cause de l'affolante

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