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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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Pourtant c'est une parole contre laquelle il n'y a rien à répondre. On la répète doucement, on s'en berce comme d'une vieille chanson.
    Farfadet nous a rejoints depuis un moment. Il s'est placé près de nous, un peu à l'écart cependant, et s'est assis, les poings au menton, sur une cuve renversée.
    Celui-là est plus solidement heureux que nous. On le sait bien ; lui aussi le sait bien : relevant la tête, il a regardé successivement du même œil lointain, le dos du vieux qui allait à la chasse de son trésor, et notre groupe qui parlait de ne plus s'en aller ! Sur notre délicat et sentimental compagnon brille une sorte de gloire égoiste qui en fait un être à part, le dore et l'isole de nous, malgré lui, comme des galons qui lui seraient tombés du ciel.
    Son idylle avec Eudoxie a continué ici. Nous en avons eu des preuves, et même, une fois, il en a parlé.
    Elle n'est pas loin, et ils sont bien près l'un de l'autre… Ne l'ai-je point vue passer, l'autre soir, le long du mur du presbytère, la chevelure mal éteinte par une mantille, allant visiblement à un rendez-vous, ne l'ai-je point vue, se hâtant, penchée et commençant déjà à sourire ?… Bien qu'il n'y ait encore entre eux que des promesses et des certitudes, elle est à lui, et c'est lui l'homme qui la tiendra dans ses bras.
    Et puis, il va nous quitter : il va être appelé à l'arrière, à l'État-Major de la Brigade, où on a besoin d'un malingre qui sache se servir de la machine à écrire. C'est officiel, c'est écrit. Il est sauvé : le sombre futur, que les autres n'osent pas envisager, est précis et clair pour lui.
    Il regarde une fenêtre ouverte, qui donne sur le trou noir d'une chambre quelconque, là-bas ; il s'éblouit de cette ombre de chambre : il espère, il vit double. Il est heureux ; car le bonheur prochain, qui n'existe pas encore, est le seul ici-bas qui soit réel.
    Aussi un pauvre mouvement d'envie naît autour de lui.
    – On n'sait jamais ! murmure Paradis à nouveau, mais sans plus de conviction que les autres fois qu'il a proféré, dans l'étroitesse de notre décor d'aujourd'hui, ces mots démesurés.

CHAPITRE SEPTIÈME
  Embarquement
     
    Barque, le lendemain, prit la parole et dit :
    – J'vas t'expliquer ce qui en est. Y en a qui gou…
    Un féroce coup de sifflet coupa son explication, net, à cette syllabe.
    On était dans une gare, sur un quai. Une alerte nous avait, dans la nuit, arrachés au sommeil et au village, et on avait marché jusqu'ici. Le repos était fini ; on changeait de secteur ; on nous lançait ailleurs. On avait disparu de Gauchin à la faveur des ténèbres, sans voir les choses et les gens, sans leur dire adieu du regard, sans en emporter une dernière image.
    … Une locomotive manœuvrait, proche à nous coudoyer, et elle braillait à pleins poumons. Je vis la bouche de Barque, bouchée par la vocifération de cette voisine colossale, prononcer un juron : et j'apercevais grimacer, en proie à l'impuissance et à l'assourdissement, les autres faces, casquées et ceinturées de jugulaires – car nous étions sentinelles dans cette gare.
    – Après toi ! glapit Barque, furieux, en s'adressant au sifflet empanaché.
    Mais le terrible appareil continuait de plus belle à renfoncer impérieusement les paroles dans les gorges. Quand il se tut, et que son écho tinta dans nos oreilles, le fil du discours était rompu à jamais, et Barque se contenta de conclure brièvement :
    – Oui.
    Alors, on regarda autour de soi.
    On était perdus dans une espèce de ville.
    Des rames de wagons interminables, des trains de quarante à soixante voitures, formaient comme des rangées de maisons aux façades sombres, basses et identiques, séparées par des ruelles. Devant nous, longeant l'agglomération des maisons roulantes, la grande ligne, la rue sans bornes où les rails blancs disparaissaient à une extrémité et à une autre, dévorés par l'éloignement. Des tronçons de trains, des trains entiers, en grandes colonnes horizontales, s'ébranlaient, se déplaçaient et se replaçaient. On entendait de toutes parts le martèlement régulier des convois sur le sol cuirassé, des sifflements stridents, le tintement de la cloche d'avertissement, le fracas métallique et plein des colosses cubiques qui ajustaient leurs moignons d'acier, avec des contrecoups de chaînes et des retentissements dans la longue carcasse vertébrée du convoi. Au rez-de-chaussée du bâtiment

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