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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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pas maboul tout à fait, et j'sais bien qu'des mecs de l'arrière, l'en faut. Qu'on aye besoin d'traîne-pattes, j'veux bien… Mais y en a trop, et ces trop-là, c'est toujours les mêmes, et pas les bons, voilà !
    Soulagé par cette déclaration qui mettait un peu de lumière à travers le sombre méli-mélo des colères qu'il rapportait parmi nous, Volpatte parla par bribes, à travers les nappes acharnées de pluie :
    – Dès le premier patelin où on m'a expédié à petite vitesse, j'en ai vu des chiées, des chiées, et i's ont commencé à m'faire une mauvaise impression sur moi. Toutes sortes de services, de sous-services, de directions, de centres, de bureaux, de groupes. Pendant les premiers temps, quand t'es là-dedans, autant de bonhommes tu rencontres, autant d'services différents qui se ressemblent pas comme noms. C'est à en devenir r'tourné. Mon vieux, celui qui a inventé les noms de tous ces services, il avait une rude tête !
    » Alors, tu veux pas qu'j'en soye indigestionné ? J'en ai plein mes mirettes et malgré moi, quand j'fais à moitié aut'chose, j'en rêve à moitié !
    » Ah ! mon vieux, ruminait notre camarade, tous ces mecs qui baguenaudent et qui papelardent là-dedans, astiqués, avec des kébrocs et les paletots d'officiers, des bottines – qui marquent mal, quoi – et qui mangent du fin, s'mettent, quand ça veut, un cintième de casse-pattes dans l'cornet, s'lavent plutôt deux fois qu'une, vont à la messe, n'défument pas et l'soir s'empaillent dans la plume en lisant sur le journal. Et ça dira, après :
    « J'suis t'été à la guerre. »
    Un point avait surtout frappé Volpatte et ressortait de sa vision confuse et passionnée :
    – Tous ces poilus-là, ça n'emporte pas son couvert et son quart, pour manger sur le pouce. I' leur faut ses aises. I's préfèr't mieux aller s'installer chez une mouquère de l'endroit, à une table exprès pour eux, pour chiquer la légume, et la rombière leur carre dans son buffet leur vaisselle, leurs boîtes de conserves et tout leur bordel pour le bec, enfin, les avantages de la richesse et de la paix dans ce sacré nom de Dieu d'arrière !
    Le voisin de Volpatte secoua la tête sous les cataractes qui tombaient du ciel et dit :
    – Tant mieux pour eux.
    – J'suis pas maboul… recommença à dire Volpatte.
    – P't'êt ; mais t'es pas conséquent.
    Volpatte se sentit injurié par ce terme ; il sursauta, leva furieusement la tête, et la pluie qui le guettait s'appliqua en paquet sur sa figure.
    – Non, mais des fois ! Pas conséquent ! C'purin-là !
    – Parfaitement, monsieur, reprit le voisin. J'dis qu'tu rousses et qu'pourtant tu voudrais bien être à leur place, à ces Jean Foutre.
    – Pour sûr, mais qu'est-ce que ça prouve, face de fesse ? D'abord, nous, on a été au danger et ce s'rait bien not' tour. C'est toujours les mêmes, que j'te dis, et pis, pa'ce qu'y a là-d'dans des jeunes qu'est fort comme un bœuf, et balancé comme un lutteur, et pis pa'c' qu'y en a trop. Tu vois, c'est toujours « trop » que j'dis, parce que c'est ça.
    – Trop ! qu'en sais-tu, vilain ? Ces services, connais-tu qui i' sont ?
    – J'sais pas c'qu'i' sont, repartit Volpatte, mais j'dis…
    – Tu crois qu'c'est pas un fourbi d'faire marcher toutes les affaires des armées ?
    – J'm'en fous, mais…
    – Mais tu voudrais que ce s'rait toi, pas ? goguenarda le voisin invisible qui, au fond de son capuchon sur lequel se déversaient les réservoirs de l'espace, cachait soit une grande indifférence, soit l'impitoyable désir de faire monter Volpatte.
    – J'sais pas y faire, dit simplement celui-ci.
    – Y en a qui sav't pour toi, intervint la voix aiguë de Barque ; j'en ai connu un…
    – Moi aussi, j'en ai vu ! hurla désespérément Volpatte dans la tempête. Tiens, pas loin du front, à j'sais pas quoi, où il y a l'hôpital d'évacuation et une sous-intendance, c'est là qu'j'ai rencontré c't'anguille.
    Le vent, qui passait sur nous, demanda en cahotant :
    – Qu'est-ce que c'est qu'ça ?
    À ce moment, il se produisit une accalmie, et le mauvais temps laissa tant bien que mal parler Volpatte, qui dit :
    – I' m'a servi d'guide dans tout le fouillis du dépôt comme dans une foire, vu qu'il était lui-même une des curiosités de l'endroit. I' m'menait dans des couloirs, des salles de maisons ou d'baraquements supplémentaires ; i' m'entrouvrait une porte à étiquette ou m'la

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