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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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neuf heures du soir ; et t'es obligé de ficher le camp avant l'jour. Allons, bonsoir. Vous v'nez, vous autres ?
    » – Pardine ! que disent les gars. Bonne nuit, messieurs dames.
    » Les v'là qui gagnent la porte, l'ouvrent. Mariette et moi, on s'est regardé tous les deux. On n'a pas bougé. Puis on s'est regardé encore, et on s'est élancé sur eux. J'ai attrapé un pan de capote, elle, une martingale, tout ça mouillé à tordre.
    » – Jamais de la vie. On vous laissera pas partir. Ça se peut pas.
    » – Mais…
    » – Y a pas d'mais, que je réponds pendant qu'elle boucle la lourde. »
    – Alors quoi ? demanda Lamuse.
    – Alors, rien du tout, répondit Eudore. On est resté comme ça, bien sagement – toute la nuit. Assis, calés dans des coins, à bâiller, comme ceux qui veillent un mort. On a parloché un peu d'abord. De temps en temps, l'un disait : « Est-ce qu'il pleut encore ? » et allait voir, et disait : « I' pleut. » Du reste, on l'entendait. Un gros, qui avait des moustaches de Bulgare, luttait contre le sommeil comme un sauvage. Quelquefois, un ou deux dormaient dans le tas ; mais il y en avait toujours un qui bâillait et ouvrait un œil, par politesse, et s'étirait ou se levait à moitié pour se rasseoir mieux.
    » Mariette et moi, on n'a pas dormi. On s'est regardé, mais on regardait aussi les autres, qui nous regardaient, et voilà.
    » Le matin est venu débarbouiller la fenêtre. Je me suis levé pour aller voir le temps. La pluie n'avait guère diminué. Dans la chambre, je voyais des formes brunes qui bougeaient, respiraient fort. Mariette avait les yeux rouges de m'avoir regardé toute la nuit. Entre elle et moi, un poilu, en grelottant, bourrait une pipe.
    » On tambourine à la vitre. J'entrouvre. Une silhouette au casque tout ruisselant, comme apportée et poussée là par le vent terrible qui souffle et qui entre avec, apparaît et demande :
    – Eh ! l'estaminet, y a-t-il moyen d'avoir du café ?
    – On y va, monsieur, on y va ! » crie Mariette.
    » Elle se lève de d'ssus sa chaise, un peu engourdie. Elle ne parle point, se regarde dans notre bout de glace, se touche un peu les cheveux et elle dit, tout bonnement, c'te femme :
    – J'vais préparer le café pour tout le monde.
    » Quand on l'a bu, fallait s'en aller tous. Du reste, les clients radinaient chaque minute.
    – Hé, la p'tite mère ! qu'i' criaient en introduisant leur bec par la fenêtre entrouverte, vous avez ben un peu d'jus. Comme qui dirait trois jus ! Quatre ! « Et deux encore en plus », que disait une aut' voix.
    On s'approche de Mariette pour lui dire adieu. I's savaient bien qu'ils avaient été bougrement de trop cette nuit ; mais j'voyais bien qu'i's n'savaient pas s'il était convenable de parler de c't'affaire-là ou de n'pas en parler du tout.
    » Le gros Macédonien s'y est décidé :
    » – On vous a bien emmerdés, hein, ma p'tite dame ?
    » I' disait ça pour montrer qu'il était bien élevé, l'vieux frère.
    » Mariette le r'mercîe et lui tend la main.
    – C'est rien d'ça, monsieur. Bonne permission !
    » Et moi, j'te la serre dans mes bras et j'te l'embrasse le plus longtemps que j'peux, pendant une demi-minute… Pas content – dame, y avait d'quoi ! – mais content tout de même que Mariette n'ait pas voulu fiche dehors les camarades comme des chiens. Et j'sentais aussi qu'elle me trouvait brave de ne l'avoir point fait.
    – Mais c'est pas tout ça, dit l'un des permissionnaires en rel'vant un pan d'sa capote et en fourrant sa main dans sa poche de froc. C'est pas tout ça ; combien qu'on vous doit pour les cafés ?
    – Rien, puisque vous avez habité cette nuit chez moi ; vous êtes mes invités.
    – Oh ! madame, pas du tout !…
    » Et voilà-t-il pas qu'on s'fait des protestations et des petits saluts les uns devant les autres ! Mon vieux, tu diras ce que tu voudras, on n'est que des pauvres bougres, mais c'était épatant, cette petite manigance de politesses.
    – Allons, jouons-en un air, hein ?
    » Ils filent un à un. Je reste en dernier.
    » Un aut' passant s'met en ce moment à cogner aux carreaux : encore un qui claquait du bec de jus. Mariette, par la porte ouverte, se penche et lui crie :
    – Une seconde !
    » Puis elle me met dans les bras un paquet qu'elle avait prêt.
    – J'avais acheté un jambonneau. C'était pour le souper, nous, tous les deux, en même temps qu'un litre de vin bouché. Ma foi,

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