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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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quand j'ai vu que tu étais cinq, j'ai pas voulu l'partager tant, et maintenant encore moins. Voilà le jambon, le pain, le vin. Je te les donne pour que tu en profites tout seul, mon gars. Eux, on leur assez ! qu'elle a dit. »
    – Pauv' Mariette, soupire Eudore. Y avait quinze mois que je ne l'avais vue. Et quand est-ce que je la reverrai ! Et est-ce que je la reverrai ?
    » C'était gentil, c't'idée qu'elle avait. Elle me foura tout ça dans ma musette… »
    Il entrouvre sa musette de toile bise.
    – Tenez, les v'là : l'jambon ici là, et le grignolet, et v'là l'kilo. Eh bien, puisque c'est là, vous ne savez pas ce qu'on va faire ? Nous allons nous partager ça, hein, mes vieux poteaux ?

CHAPITRE NEUVIÈME
  La grande colère
     
    Lorsqu'il rentra de son congé de convalescence, après deux mois d'absence, on l'entoura. Mais il se montrait renfrogné, taciturne et fuyait vers les coins.
    – Eh bien quoi ! Volpatte, tu dis rien ? C'est tout ça qu'tu dis ?
    – Parle-nous de c'que t'as vu pendant ton hôpital et ta convalo, vieille cloche, depuis le jour que t'es parti avec tes bandages, et ta gueule entre parenthèses. Paraît qu' t'as été dans les bureaux. Parle, quoi, nom de Dieu !
    – J'veux pus rien dire de ma putain de vie, dit enfin Volpatte.
    – Quoi qu' tu dis ? Quoi qu'i' dit ?
    – J'suis dégouté, v'là c'que j'suis ! Les gens, j'les débecte, t j'les r'débecte, tu peux leur dire.
    – Quoi qu'i t'ont fait ?
    – C'sont des vaches, dit Volpatte.
    Il était là, avec sa tête d'autrefois, aux oreilles recollées, aux pommettes de Tartare, buté, au milieu du cercle intrigué qui l'assiégeait. On le sentait, au fond de lui-même, aigri et tumultueux, sous pression, la bouche fermée de force sur du mauvais silence.
    Des paroles finirent par déborder de lui. Il se retourna – du côté de l'arrière – et montra le poing à l'espace infini.
    – Y en a trop, dit-il, entre ses dents grises, y en a trop !
    Et il semblait, dans son imagination, menacer, repousser une marée montante de fantômes.
    Un peu plus tard, on l'interrogea à nouveau. On savait bien que son irritation ne se maintiendrait pas ainsi à l'intérieur, et qu'à la première occasion ce farouche silence exploserait.
    C'était dans un profond boyau d'arrière où, après une matinée de terrassement, ont était réunis pour prendre le repas. Il tombait une pluie torrentielle ; on était brouillés et noyés et bousculés par l'inondation, et on mangeait debout, à la file, sans abri, en plein ciel liquéfié. Il fallait faire des tours de force pour préserver le singe et le pain des jets qui coulaient de tous les points de l'espace, et on mangeait, en se cachant autant que possible, les mains et la figure sous les capuchons. L'eau grêlait, sautait et ruisselait sur les molles carapaces de sournoisement, détremper nos personnes et notre nourriture. Les pieds s'enfonçaient de plus en plus, prenaient largement racine dans le ruisseau qui courait au fond du fossé argileux.
    Quelques têtes riaient, la moustache dégoulinante, d'autres grimaçaient d'avaler du pain spongieux et de la viande lessivée et d'être cinglés par les gouttes qui leur assaillaient de tous côtés la peau au moindre défaut de leur épaisse cuirasse bourbeuse.
    Barque, qui serrait sa gamelle sur son cœur, brailla à Volpatte :
    – Alors, des vaches, tu dis, qu'tas vues, là-bas d'où c'que tu d'viens ?
    – Exemple ? cria Blaire dans un redoublement de rafale qui secouait les paroles et les éparpillait. Quoi qu't'as vu en fait d'vaches ?
    – Y a… commença Volpatte, et pis… Y en a trop, nom de Dieu ! Y a…
    Il essayait de dire ce qu'il y avait. Il ne pouvait que répéter : « Y en a trop » ; il était oppressé et soufflait, et il avala une bouchée déliquescente de pain, et il ravala aussi la masse désordonnée et étouffante de ses souvenirs.
    – C'est-i' des embusqués qu'tu veux causer ?
    – Tu parles !
    Il avait lancé par-dessus le talus le restant de son bœuf, et ce cri, ce soupir, sortit violemment de sa bouche comme d'une soupape.
    – T'en fais pas pour les embusqués, vieille colique, conseilla Barque, goguenard, mais non sans quelque amertume. À quoi ça sert ?
    Ramassé et dissimulé sous le toit fragile et inconsistant de son capuchon ciré où l'eau précipitait un glacis brillant, et tendant sa gamelle vide à la pluie pour la nettoyer, Volpatte gronda :
    – J'suis

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