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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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montrait et i' m'disait : « Vise ça, et ça donc, vise-le ! » J'ai visité avec lui ; mais lui n'est pas revenu, comme moi, aux tranchées : n't'en fais pas. I' n'en r'venait du reste pas non plus, fais t'en pas. C't'anguille, la première fois que j'l'ai vue, elle marchait tout doucement dans la cour : « C'est l'service courant », qu'i' m'dit. On a causé. L'lendemain, i' s'était fait coller ordonnance, pour couper à un départ, vu qu'c'était son tour de partir depuis l'commencement d'la guerre.
    » Sur le pas de la porte où il s'était pagnoté toute la nuit dans un plumard, i' cirait les godasses de son ouistiti : des palaces pompes jaunes. I' leur z'y collait d'l'encaustique, î' les dorait, mon vieux. J'm'ai arrêté pour voir ça. Le gars m'a raconté son histoire. Mon vieux, j'me rappelle plus besef de c'bourrage de crâne arabe, pas plus que j'me rappelle de l'Histoire de France et des dates qu'on chantait à l'école. Jamais, mon vieux, i' n'avait été envoyé sur le front, quoique de la classe 3 et un costaud bougre, tu sais. L'danger, la fatigue, la mocherie de la guerre, c'était pas pour lui, pour les autres, oui. I' savait que si i' mettait l'pied sur la ligne de feu, la ligne prendrait toute la bête, aussi i' coulait de toutes les pattes pour rester sur place. On avait essayé de tous les moyens pour le posséder, mais c'était pas vrai, il avait glissé des pinces de tous les capitaines, de tous les colonels, de tous les majors, qui s'étaient pourtant bougrement foutus en colère contre lui. I' m'racontait ça. Comment qu'i' f'sait ? I' s'laissait tomber assis. I' prenait un air con. I' faisait l'saucîsson. I' d'venait comme un paquet de linge sale. « J'ai comme une espèce de fatigue générale », qu'i' chialait. On savait pas comment l'prendre et, au bout d'un temps, on le laissait tomber, i' s'faisaît vomir par tout un chacun. V'là. I' changeait sa manière aussi suivant les circonstances, tu saisis ? Qué'qu'fois, l'pied y faisait mal, dont i' savait salement bien s'servir. Et pis, i' s'arrangeait, l'était au courant des binaises, savait toutes les occases. Tu parles d'un mecton qui connaissait les heures des trains ! Tu l'voyais s'rentrer en s'glissant en douce dans un groupe du dépôt où c'était l'filon, et y rester, toujours en douce poil-poil, et même, i' s'donnait beaucoup d'mal pour que les copains ayent besoin de lui. I' s'levait à des trois heures du matin pour faite le jus, allait chercher de l'eau pendant que les autres bouffaient ; enfin quoi, partout où i' s'était faufilé, il arrivait à être d'la famille, c'pauv' type, c'te charogne ! Il en mettait pour ne pas en mettre. I' m'faîsait l'effet d'un mec qu'attrait gagné honnêtement cent balles avec le travail et l'emmerdement qu'il apporte à fabriquer un faux billet de cinquante. Mais voilà : I' raboulera sa peau, çui-là. Au front, i' s'rait emporté dans l'mouvement, mais pas si bête. I' s'fout d'ceux qui prennent la bourre sur la terre, et i' s'foutra d'eux plus encore quand i's seront d'ssous. Quand i's auront fini tous de s'battre, i' r' viendra chez lui. I' dira à ses amis et connaissances : « Me v'là sain t'et sauf », et ses copains s'ront contents, parce que c'est un bon type, avec des magnes gentilles, tout saligaud qu'il est, et – c'est bête comme tout – mais c't'enfant d'vermine-là, tu l'gobes.
    » Eh bien, des clients de c'calibre-là, faut pas croire qu'y en ait qu'un : y en a des tinées dans chaque dépôt, qui s'cramponnent et serpentent on ne sait pas comment à leur point d'départ, et disent : « J'marche pas », et marchent pas, et on n'arrive jamais à les pousser jusqu'au front. »
    – C'est pas nouveau, tout ça, dit Barque. Nous l'savons, nous l'savons !
    Y a les bureaux ! ajouta Volpatte, lancé dans son récit de voyage. Y en a des maisons entières, des rues, des quartiers. J'ai vu que mon tout petit coin de l'arrière, un point, et j'en ai plein la vue. Non, j'n'aurais pas cru qu'pendant la guerre y avait tant d'hommes sur des chaises…
    Une main, dans la file, sortit, tâta l'espace.
    – V'là la sauce qui n'tombe plus…
    – Alors, on va s'en aller, t'vas vouère…
    En effet, on cria : « Marche ! »
    L'averse s'était tue. On défila dans la longue mare mince qui stagnait dans le fond de la tranchée et sur laquelle, l'instant d'avant, se trémoussaient des plaques de pluie.
    Le murmure de Volpatte reprit dans le fatras du

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