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Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
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sont tués ; mais les engagés dans les services ou les armes spéciales, même l'artillerie lourde, i' commencent à m'taper sur l'os. On les connaît, ceux-là ! I's diront, en f'sant l'gracieux dans leur monde : « J'm'ai engagé pour la guerre. – Ah ! comme c'est beau, c'que vous avez fait ; vous avez, de votre propre volonté, affronté la mitraille ! – Mais oui, madame la marquise, j'suis comme ça. » Eh, va donc, fumiste !
    – J'connais un monsieur qui s'est engagé dans les parcs d'aviation. Il avait un bel uniforme : il aurait mieux fait de s'engager à l'Opéra-Comique.
    – Oui, mais c'est toujours la même histoire. I' n'aurait pas pu dire après dans les salons : « Tenez, me v'la : regardez ma gueule d'engagé volontaire ! »
    – Qu'est-ce que j'dis « il aurait aussi bien fait ! » Il aurait beaucoup mieux fait, oui. Au moins il aurait carrément fait rigoler les autres, au lieu d'les faire rire jaune.
    – Tout ça, c'est d'la bath potiche peinte à neuf et bien décorée, de toutes sortes de décorations, mais qui ne va pas au feu.
    – Si n'y avait qu'des gars comme ça, les Boches s'raient à Bayonne.
    – Quand y a la guerre, on doit risquer sa peau, pas, caporal ?
    – Oui, dit Bertrand. Il y a des moments où le devoir et le danger c'est exactement la même chose. Quand le pays, quand la justice et la liberté sont en danger, ce n'est pas en se mettant à l'abri qu'on le défend. La guerre signifie au contraire danger de mort et sacrifice de la vie pour tout le monde, pour tout le monde : personne n'est sacré. Il faut donc y aller tout droit, jusqu'au bout, et non pas faire semblant de le faire, avec un uniforme de fantaisie. Les services de l'arrière, qui sont nécessaires, doivent être assurés automatiquement par les vrais faibles et les vrais vieux.
    – Vois-tu, y a eu trop d'gens riches et à relations qui ont crié : « Sauvons la France ! – et commençons par nous sauver ! » À la déclaration de la guerre, y a eu un grand mouvement pour essayer de se défiler, voilà c'qu'y a eu. Les plus forts ont réussi. J'ai remarqué, moi, dans mon p'tit coin, qu'c'étaient surtout ceux qui gueulaient le plus, avant, au patriotisme… – En tout cas – comme ils disaient tout à l'heure, eux autres – si on s'carre à l'abri, la dernière vacherie qu'on puisse faire c'est d'faire croire qu'on a risqué. Pa'c que ceux qui risquent vraiment, j'te l'redis, méritent le même hommage que les morts.
    – Et pis après ? C'est toujours comme ça, mon vieux. Tu changeras pas l'homme.
    – Rien à faire. Rouspéter, t'plaindre ? Tiens, en fait d'plainte, t'as connu Margoulin ?
    – Margoulin, c'bon type de chez nous qu'on a laissé mourir sur le Crassier parc' qu'on l'a cru mort ?
    – Eh ben, lui voulait s'plaindre. Tous les jours i' parlait d'faire une réclamation sur tout ça là-dessus au capitaine, au commandant, et de d'mander qu'i' soit établi que chacun montera à son tour aux tranchées. Tu l'entendais dire après la croûte : « J'y dirai, vrai comme v'là un quart de vin là. » Et l'instant d'après : « Si j'y dis pas, c'est qu'jamais y a un quart de vin là. » Et si tu r'passais tu l'r'entendais : « Tiens, c'est-i' un quart de vin ça ? Eh bien, tu verras si j'y dirai ! » Total : i' n'a rien dit du tout. Tu m'diras : « Il a été tué. » C'est vrai, mais avant, il avait eu largement le temps de le faire deux mille fois s'il avait osé.
    – Tout ça, ça m'emmerde, gronda Blaire, sombre, avec un éclair de fureur.
    – Nous autres, on n'a rien vu – vu qu'on voit rien.
    – Mais si on voyait !…
    – Mon vieux, s'écria Volpatte, les dépôts, écoute bien c'que j'vais t'dire : faudrait détourner dans eux tous, tout partout, la Seine, la Garonne, le Rhône et la Loire pour les nettoyer. En attendant là-dedans, i's vivent, et même i's vivent bien, et i's vont roupiller tranquillement, chaque nuit, chaque nuit !
    Le soldat se tut. Au loin, il voyait, lui, la nuit qu'on passe, recroquevillé, palpitant d'attention et tout noir, au fond du trou d'écoute dont se silhouette, tout autour, la mâchoire déchiquetée, chaque fois qu'un coup de canon jette son aube dans le ciel.
    Cocon fit amèrement :
    – Ça ne donne pas envie de mourir.
    – Mais si, reprend placidement quelqu'un, mais si… N'exagère pas, voyons, peau d'hareng saur.

CHAPITRE DIXIÈME
  Argoval
     
    Le crépuscule du soir arrivait du

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