Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Feu (Journal d'une Escouade)

Le Feu (Journal d'une Escouade)

Titel: Le Feu (Journal d'une Escouade) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Barbusse
Vom Netzwerk:
soulevaient les chemins.
    De retour de corvée, je regagnais notre cantonnement, à l'extrémité du village. À travers la pluie épaisse, le paysage de ce matin-là était jaune sale, le ciel tout noir – couvert d'ardoises. L'averse fouettait l'abreuvoir avec ses verges. Le long des murs, des formes se rapetissaient et filaient, pliées, honteuses, en barbotant.
    Malgré la pluie, la basse température et le vent aigu, un attroupement s'agglomérait devant la poterne de la ferme où nous logions. Les hommes serrés là, dos à dos, formaient, de loin, comme une vaste éponge grouillante. Ceux qui voyaient, par-dessus les épaules et entre les têtes, écarquillaient les yeux et disaient :
    – Il en a du fusil, le gars !
    – Pour n'avoir pas les grolles, i' n'a point les grolles !
    Puis les curieux s'éparpillèrent, le nez rouge et la face trempée, dans l'averse qui cinglait et la bise qui pinçait, et, laissant retomber leurs mains qu'ils avaient levées au ciel d'étonnement, ils les enfonçaient dans leurs poches.
    Au centre, demeura, strié de pluie, le sujet du rassemblement : Fouillade, le torse nu, qui se lavait à grande eau.
    Maigre comme un insecte, agitant de longs bras minces, frénétique et tumultueux, il se savonnait et s'aspergeait la tête, le cou et la poitrine jusqu'au grillage proéminent de ses côtes. Sur sa joue creusée en entonnoir l'énergique opération avait étalé une floconneuse barbe de neige, et elle accumulait sur le sommet de son crâne une visqueuse toison que la pluie perforait de petits trous.
    Le patient utilisait, en guise de baquet, trois gamelles qu'il avait remplies d'eau trouvée on ne savait où dans ce village où il n'y en avait pas, et, comme il n'existait nulle part, dans l'universel ruissellement céleste et terrestre, de place propre pour poser quoi que ce fût, il fourrait, après usage, sa serviette dans la ceinture de son pantalon, et mettait, chaque fois qu'il s'en était servi, son savon dans sa poche.
    Ceux qui étaient encore là admiraient cette gesticulation épique au sein des intempéries, et répétaient en hochant la tête :
    – C'est une maladie de propreté qu'il a.
    – Tu sais qu'i' va avoir une citation, qu'on dit, pour l'affaire du trou d'obus avec Volpatte.
    – Ben, mon vieux cochon, les a pas volées, ses citations !
    Et on mêlait, sans bien s'en rendre compte, les deux exploits, celui de la tranchée et celui-là, et on le regardait comme le héros du jour, tandis qu'il soufflait, reniflait, haletait, rauquait, crachait, essayait de s'essuyer sous la douche aérienne, par coups rapides et comme par surprise, puis, enfin, se rhabillait.
    Une fois lavé, il a froid.
    Il tourne sur place et se poste, debout, à l'entrée de la grange où l'on gîte. La bise glaciale tache et placarde la peau de sa longue face creuse et basanée, tire des larmes de ses yeux et les éparpille sur ses joues grillées jadis par le mistral ; et son nez aussi pleure et pleuvote.
    Vaincu par la morsure continue du vent qui l'attrape aux oreilles, malgré son cache-nez noué autour de sa tête, et aux mollets malgré les bandes jaunes dont ses jambes de coq sont écaillées, il rentre dans la grange, mais il en ressort aussitôt, en roulant des yeux féroces et en murmurant : « Pute de moine ! » et : « Voleur ! » avec l'accent qui éclôt aux gosiers à mille kilomètres d'ici, dans le coin de terre d'où la guerre l'exila.
    Et il reste debout, dehors, dépaysé plus qu'il ne le fut jamais dans ce décor septentrional. Et le vent vient, se glisse en lui, et revient, avec de brusques mouvements, secouer et malmener ses formes décharnées et légères d'épouvantail.
    C'est qu'elle est quasi inhabitable – coquine de Dious ! – la grange qu'on nous a assignée pour vivre pendant cette période de repos. Cet asile s'enfonce, ténébreux, suintant et étroit comme un puits. Toute une moitié en est inondée – on y voit surnager des rats – et les hommes sont massés dans l'autre moitié. Les murs, faits de lattes agglutinées par de la boue séchée, sont cassés, fendus, percés, sur tout le pourtour, et largement troués dans le haut. On a bouché tant bien que mal, la nuit où l'on est arrivé – jusqu'au matin – les lézardes qui sont à portée de la main, en y fourrant des branches feuillues et des claies. Mais les ouvertures du haut et du toit sont toujours béantes. Alors qu'un faible jour impuissant y demeure suspendu, le

Weitere Kostenlose Bücher